ARTS POÉTIQUES
Du baroque au néo-classicisme : les métamorphoses de la grâce
L'artifice et le naturel
Le xviie et le xviiie siècles n'iront pas toujours aussi loin dans la réflexion sur la création littéraire. Le premier fait qui les caractérise est l'approfondissement du maniérisme. Avec Gracián ou Tesauro, celui-ci aboutit à sa forme extrême, qui ressemble fort aux ornementations du « plateresque » espagnol. En matière de langage, on parle essentiellement de pointes et de concetti à travers lesquels on cherche à ressaisir le sens, la sententia des anciens déclamateurs, dans son aspect formel de concision (« conception » est tout proche) et d'oxymore.
Ainsi s'épanouit le baroque, surtout en terre ibérique. Les Français, qui reçoivent en même temps le message italien du cavalier Marin, combineront les deux tendances avec l'enseignement sénéquien que Juste Lipse donnait à Leyde et à Louvain à la fin du siècle précédent. Ainsi se forme le classicisme, d'abord avec Guez de Balzac, ensuite avec Boileau. L'Art poétique (1674) est d'abord cartésien, l'apparente imitation d'Horace n'excluant pas une très grande différence d'esprit. Boileau s'attache essentiellement à critiquer la préciosité et l'italianisme. Dès les années qui suivent directement l'Art poétique, Boileau, admirateur de Racine, se tourne d'autre part vers le pseudo-Longin, qui concilie la grandeur avec la simplicité. La grâce, le sublime, tels sont les deux traits dominants de l'esthétique de ce siècle.
Au xviiie siècle, en France, la grandeur va peu à peu céder le pas à la grâce. On ne doit pourtant pas surestimer cette évolution. Fénelon, dans le Projet de poétique que comporte la Lettre à l'Académie, marque, en s'inspirant de Virgile, le lien essentiel qui existe entre les deux notions : l'une et l'autre s'accordent dans l'expression directe et transparente du sentiment. Ainsi prend source un courant qui, parfois (de Rollin à l'abbé Batteux), se borne à rassembler les différents aspects de la tradition et à concilier dans l'imitation de la nature Fénelon et Bossuet lui-même ; d'autres fois, il va plus loin dans l'audace et conduit jusqu'à Rousseau : le sentiment se fait alors pure saisie de l'être.
L'élégance et le sublime
Deux autres faits majeurs doivent être soulignés. D'abord, l'art poétique a tendance à se confondre avec la théorie générale des arts. On s'y était beaucoup appliqué dès le siècle précédent avec les travaux de Vossius et le De pictura ueterum de François de Jon (Junius). On avait abouti à l'essai de Dufresnoy qui, traitant de la peinture, paraphrasait Horace. Au début du siècle, l'abbé Du Bos va dans le même sens, avant Batteux lui-même.
Le deuxième grand fait est le progrès de la réflexion sur le langage, qui coïncide avec l'évolution de la philosophie. Fénelon, le père Lamy restent dans la tradition de Descartes. Mais le sensualisme instauré par Locke conduit à des vues nouvelles qu'expriment Du Marsais, Diderot et surtout Condillac. Le langage naît de la combinaison des idées qui se construisent elles-mêmes par la combinaison des sensations. Pour bien parler, il faut donc procéder par analyse, partir de petites sensations vraies, voir comment elles se forment en mots, en phrases, en textes.
Cette période est très féconde dans les différents pays européens, où s'épanouit un universalisme nouveau. Partout, on voit se développer des réflexions qui annoncent le xixe siècle. La France elle-même tend à échapper à la tradition classique, dont Boileau, Rapin, Bouhours, tous attentifs au sublime et à la grâce, se faisaient les défenseurs. Pope introduit un « criticisme » qui permet d'accorder Virgile avec Milton et peut-être Shakespeare. Shaftesbury s'efforce[...]
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Écrit par
- Alain MICHEL : professeur de langue et littérature latines à l'université de Paris-IV-Sorbonne, administrateur de la Société des études latines
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