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ASCÈSE & ASCÉTISME

Les diverses définitions classiques de l'homme prennent comme base son animalité à laquelle elles ajoutent la mention d'une différence spécifique : « animal politique », « animal doué de raison », « animal parlant » ou encore, comme dans la tradition indienne, « animal sacrifiant ». Toutes, donc, impliquent un minimum de compatibilité entre le genre et l'espèce ou entre le sujet et l'attribut. Aux yeux d'Aristote, par exemple, le fait pour l'homme de ne pouvoir vivre qu'en société, loin d'abolir son animalité, la suppose, au contraire, et la ratifie dans la spécificité de ses besoins. En revanche, celui qui voudrait définir l'homme comme « animal capable d'ascèse » subvertirait complètement ce jeu du genre et de la différence spécifique sur lequel reposent les autres définitions. C'est qu'un seul cas, dûment attesté, d'ascèse pratiquée par un animal, fût-il « supérieur », nous apparaîtrait comme le miracle des miracles, alors que des ébauches de langage, de raisonnement, de sociabilité, etc., se laissent observer dans le comportement de maintes espèces animales. En se livrant à l'ascèse, donc, l'homme ne cherche plus à perfectionner son animalité mais bien à la renier, à la limite à la supprimer. Aussi, la coupure radicale entre l'homme et l'animal devrait-elle, pour autant qu'elle existe, se laisser au mieux appréhender à partir de ce singulier phénomène de l'ascétisme qui accompagne l'homme à travers toute son histoire. Phénomène essentiellement religieux, l'ascèse exprime le refus par l'homme de sa condition incarnée et son désir nostalgique de rejoindre en cette vie même un absolu soustrait aux vicissitudes de l'existence temporelle. Héroïque dans son essence même, volontiers habitée par un esprit d'orgueil et de démesure, son destin ordinaire est de déboucher sur une certaine forme d'insatisfaction, sinon d'échec. Aussi – tout comme le mysticisme auquel il a partie liée – l'ascétisme a-t-il été souvent jugé avec une certaine sévérité. En son absence, pourtant, toutes les valeurs morales et religieuses tendent à s'affadir et à se corrompre. Aujourd'hui, où une certaine surabondance de biens coexiste à l'échelle de la planète avec un extrême dénuement, les significations dont il est porteur paraissent plus précieuses que jamais. Après avoir fortement décliné en Europe, et dans de moindres proportions en Asie, l'institution monastique connaît aujourd'hui un réel regain de faveur. Il est vraisemblable, cependant, que, dans une société de plus en plus ouverte et individualiste, de petits groupes informels seront mieux à même que le monachisme traditionnel d'assurer la pérennité du mode de vie ascétique.

L'essence de l'ascétisme

Quiconque cherche à dégager l'essence de l'ascèse est d'emblée confronté à la variété infinie – au moins en apparence – des pratiques ascétiques à travers le temps et l'espace, ainsi qu'à la déconcertante diversité des idéaux religieux, philosophiques, politiques, etc., censés les justifier. Qu'y a-t-il de commun, par exemple, entre un shaman sibérien se livrant à d'effrayantes austérités dans le but avoué d'acquérir des pouvoirs magiques et un prisonnier politique d'aujourd'hui prêt à jeûner jusqu'à la mort afin d'arracher sa libération aux autorités de l'État ? Et entre ces deux derniers et un moine cistercien ou un hésychaste du mont Athos ? Ici, pourtant, l'étymologie du terme s'avère, comme souvent, d'un certain secours. Le mot « ascèse » vient – on le sait – du grec askèsis dont le sens propre est « pratique » ou « entraînement ». Le terme s'applique en particulier aux athlètes qui s'exercent[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie indienne et comparée à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Moines bouddhistes de Birmanie - crédits : Dietmar Temps, Cologne/ Moment Unreleased/ Getty Images

Moines bouddhistes de Birmanie

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  • ALIMENTATION (Comportement et pratiques alimentaires) - Anthropologie de l'alimentation

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