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ASCÈSE & ASCÉTISME

L'ascétisme indien

Les origines de l'ascétisme en Inde sont très anciennes. Le Ṛgveda (xve s. av. J.-C.) mentionne déjà diverses catégories d'ascètes : keśin (« chevelus »), yati (« disciplinés »), vrātya (« qui ont fait un vœu »), muni (« silencieux »), etc. Ces personnages ont en commun de pratiquer le tapas. Le terme évoque l'idée d'un échauffement provoqué violent. Il sert de désignation générique à toute une série de pratiques telles que le jeûne prolongé, l'abstention de sommeil, la station debout sur une jambe, l'entraînement à supporter la chaleur la plus torride comme le froid le plus glacial, à garder le silence, à contrôler sa respiration, etc. Au départ, il s'agissait sans doute d'un effort de concentration systématique des énergies du corps aux fins de connaître l'extase et d'acquérir des pouvoirs magiques. Les idées de « pénitence » ou de « mortification » paraissent en tout cas étrangères à ces premiers ascètes. Ce vieux fonds de pratiques – avec les spéculations qui lui furent de très bonne heure associées – s'est avéré être, tout au long de l'histoire de l' hindouisme, une mine inépuisable. On retrouve en particulier dans toutes les doctrines philosophiques et religieuses de l'âge classique au moins des traces de la double finalité présente dès l'origine : dans le prolongement de l'extase, une forme de connaissance de type mystique ou gnostique, supposée capable de soustraire l'adepte au circuit des renaissances ou saṃsāra ; dans la perspective des pouvoirs magiques, la conquête en cette vie de jouissances illimitées.

Une voie « intellectualiste » est représentée par des écoles telles que le sāṃkhya et le vedānta. Elle suppose une rupture initiale avec le monde : le « renonçant » ( saṅnyāsin) abandonne ses biens, sa famille, sa caste et jusqu'à son nom, pour se consacrer uniquement à la poursuite de la délivrance ultime (mokṣa). Les adeptes de ces écoles se recrutent parmi les hautes castes, surtout les brahmanes. Leur organisation sociale est des plus variées. Elle comprend aussi bien des solitaires, gyrovagues ou sédentaires, que de vastes monastères, tels que les maṭh védântiques fondés par Śaṅkara au viiie siècle. Le mode d'organisation le plus courant est cependant celui des ashrams, forestiers ou périurbains, où un petit nombre de disciples vit, travaille et étudie auprès d'un maître. Si le régime de vie est ici en général fort austère – aucune possession d'objets personnels, vêture minimale, nourriture végétarienne, en principe mendiée –, ces renonçants brahmaniques ne pratiquent guère les austérités physiques. Leur grande occupation est l'étude des textes philosophiques de leur secte et, plus encore, la méditation constante des enseignements ésotériques des textes sacrés : Upanishads, Bhagavad-Gitā, etc. Le yoga classique – celui des yoga-sūtra de Patañjali – se rattache à ce courant, dans la mesure où les « réfrènements et disciplines » (yama-niyama) – du genre : ne pas voler, dire toujours la vérité, observer la continence, etc. – ne sont vus que comme des conditions préalables à remplir et où l'ascèse proprement physique (postures et contrôle du souffle) ne sert ici que de propédeutique aux efforts de méditation et de concentration de l'esprit.

À l'opposé se situe le vaste peuple des sādhu – « saints hommes » –, gens en général peu lettrés, plus tournés vers les pratiques extrêmes que vers la méditation. La plupart sont shivaïtes mais éparpillés en de multiples sectes. Les adeptes du haṭha-yoga ou « yoga de l'effort violent », dans lequel les postures « acrobatiques », aux effets physiologiques importants, et les spectaculaires exercices de rétention du[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie indienne et comparée à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Média

Moines bouddhistes de Birmanie - crédits : Dietmar Temps, Cologne/ Moment Unreleased/ Getty Images

Moines bouddhistes de Birmanie

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