DJEBAR ASSIA (1936-2015)
Une écriture polyphonique
La publication de La Soif chez Julliard en 1957 est un véritable événement littéraire : la jeunesse de l'auteur et la qualité de l'écriture suscitent des comparaisons avec Françoise Sagan, et l'ouvrage ne tarde pas à être traduit en anglais et publié aux États-Unis. Ce premier roman est suivi dans la décennie par la parution de trois autres titres : Les Impatients (1958), Les Enfants du Nouveau Monde (1962) et Les Alouettes naïves (1967). On y voit apparaître des motifs qui se renforceront dans l'œuvre plus tardive d'Assia Djebar : la sexualité féminine, l'adultère, l'avortement, ainsi que la place des femmes dans la guerre et dans la résistance.
Après la publication du roman Les Alouettes naïves, l'écrivain attend plus de dix ans avant de reprendre la plume. Cette pause dans l'écriture est accompagnée d'un travail fructueux de recherches en Algérie, notamment chez des Berkani du Dahra, la « tribu » de sa mère. C'est pendant les années 1970 qu'Assia Djebar se consacre à l'écoute des femmes qui parlent tantôt le berbère tantôt l'arabe pour raconter et transmettre ces récits personnels et familiaux que les livres d'histoire ignorent. Ces voix féminines inspirent un recueil de nouvelles, Femmes d'Alger dans leur appartement (1980). Elles trouvent également leur place dans deux volets d'un « quatuor algérien » qui n'est pas encore achevé. Ici, la dimension autobiographique s'ouvre à une écriture qu'on peut dire polyphonique. En effet, L'Amour, la fantasia (1985), Ombre sultane (1987) et Vaste est la prison (1995) racontent à la fois la vie d'Assia Djebar et celle de ses parentes, de ses compatriotes et de ses ancêtres. Ces constructions romanesques, d'une complexité et d'une rigueur presque « architecturales », font entendre un « marmonnement multilingue », pour reprendre une expression d'Assia Djebar dans un remarquable essai, Ces voix qui m'assiègent. En marge de ma francophonie (1999). La préoccupation de la langue est omniprésente dans l'œuvre de cet écrivain polyglotte dont les langues algériennes (berbère et arabe) surgissent souvent de manière subtile. En effet, l'écriture en français s'accomplit dans la langue du colonisateur d'hier. En cela, elle ne saurait être séparée de son histoire de violence et de mort en Algérie.
Bien qu'elle n'y ait pas vécu durant la guerre civile des années 1990, l'Algérie reste au centre des préoccupations d'Assia Djebar : trois ouvrages en témoignent. Loin de Médine (1994) est une relecture des débuts de l'islam qui explore la place oubliée des femmes dans la religion musulmane. Le récit Le Blanc de l'Algérie (1996) évoque des êtres chers, intellectuels et amis, assassinés pendant cette décennie violente. Recueil de nouvelles, Oran, langue morte (1997) évoque surtout la douleur des femmes en cette époque d'intégrisme. Trois romans (Les Nuits de Strasbourg, 1997 ; La Femme sans sépulture, 2002 ; La Disparition de la langue française, 2003) dépeignent des femmes ayant plus de possibilités de mouvement, et davantage de liberté. Les Nuits de Strasbourg décrit deux amies maghrébines émigrées pour résider en France sans intention de retourner au pays d'origine, tandis que La Femme sans sépulture et La Disparition de la langue française mettent en scène des protagonistes qui effectuent des va-et-vient entre l'Algérie et l'Europe, se réalisant pleinement dans ces voyages qui leur permettent de s'épanouir sans oublier les actes héroïques et historiques du pays d'origine. Nulle part dans la maison de mon père (2007) donne une tonalité autobiographique à cette thématique.
L'écriture polyphonique d'Assia Djebar ne se limite pas aux genres déjà cités. Auteur d'un[...]
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Écrit par
- Alison RICE
:
assistant professor , littérature française et francophone, université de Notre Dame (États-Unis)
Classification
Média
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