ASTHME ET IMMUNITÉ INNÉE
Comment retrouver un environnement protecteur ?
Ainsi, l’excès d’hygiène pour se protéger des microbes dès la petite enfance n’est donc pas nécessairement favorable. Un environnement dit « naturel », au sens de non ou peu aseptisé, rendrait les enfants moins vulnérables aux allergies et à l’asthme. Mais comment retrouver un effet protecteur, puisqu’il est saugrenu d’envisager un retour au mode de vie rural du xixe siècle ?
Posée en ces termes, l’importance de ces travaux dépasse le cas particulier de l’asthme pour aborder deux sujets relatifs à la santé : l’hygiénisme et le rôle du microbiome. Du côté de l’hygiénisme, cette étude démontre le rôle positif d’un monde microbien que l’on cherche généralement à éliminer au nom de l’hygiène. La tendance opiniâtre de l’hygiénisme, depuis la découverte des microbes, est en effet de diaboliser les micro-organismes et de les tuer pour aseptiser, éliminer ce qui est sale et pourrait être contaminant. L’hygiène reste certes infiniment utile (ce que démontrent a contrario les infections nosocomiales lorsque les règles d’hygiène ne sont pas respectées à l’hôpital), mais ses excès peuvent avoir de possibles conséquences négatives, surtout lorsque l’hygiénisme tend à devenir une sorte de style de vie obsessionnel. L’opinion publique n’a pas attendu ces publications pour affirmer la primauté du « bon style de vie » sur la médecine. En 2000, un panneau lumineux de la gare Montparnasse à Paris affichait : « Trop d’hygiène tue l’hygiène. » Dès que les premiers résultats des études sur les amish ont filtré en 2013, Hubert Reeves s’en est emparé pour défendre la biodiversité au nom de la santé. Ces réactions n’étaient encore guère fondées. Au mieux, il pouvait s’agir d’un savoir opératoire ; au pire, constituer une réaction hostile aux positions hygiénistes et médicales jugées trop normatives et excessives. Quoi qu’il en soit, ces travaux montrent la nécessité de rétablir un effet microbien positif qui existait auparavant et qui a disparu sous la pression de l’hygiénisme et de ses passions pour les normes assimilant sain à propre. Ces constats sont à l’origine d’un grand thème de recherche connu sous le nom d’ « hypothèse de l’hygiène » (hygienehypothesis).
En ce qui concerne le rôle du microbiome (c’est-à-dire l’ensemble des microbes qui vivent en équilibre avec un organisme) dans la santé, celui-ci est désormais bien établi. Sa place en physiopathologie est étroitement liée à sa composition et à l’équilibre des diverses populations qui le composent. Le déséquilibre entre populations microbiennes au sein de microbiotes spécifiques (micro-organismes vivant dans un environnement particulier, par exemple le microbiote intestinal) est probablement à l’origine d’un grand nombre de pathologies non infectieuses, ainsi que de maladies reposant sur une réponse inflammatoire exacerbée et hors contrôle (maladie de Crohn, maladie cœliaque, etc.). Une modification dans la composition d’un microbiote a ainsi des effets, positifs ou négatifs, sur la santé. Au fil des années, il est devenu impossible de ne pas prendre en compte les populations bactériennes dans la modulation du système immunitaire et la santé. Or, ces microbes vivant dans l’intestin – ce que l’on a longtemps appelé « flore intestinale » –, le tractus respiratoire ou les muqueuses viennent de l’extérieur du corps humain. Ils s’installent progressivement après la naissance de l’individu et vivent en équilibre populationnel. Dans cette logique, on peut penser que le microbiote respiratoire des amish contribue à leur défense contre l’asthme.
On voit ainsi apparaître la nécessité de retrouver des caractéristiques biologiques de l’organisme liées à un environnement dit « naturel » qui existait et qui a disparu ou s’est appauvri[...]
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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Média