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LINDGREN ASTRID (1907-2002)

Astrid Lindgren aura été l'écrivain suédois le plus lu de tout le xxe siècle. Personne, dans le monde entier, n'ignore l'identité de Zozo la tornade, ou de Fifi Brindacier, entre autres, dont les exploits ont été traduits en soixante-seize langues. Celle qui est morte comblée de gloire avait été proposée à plusieurs reprises pour le prix Nobel de littérature. En vain : il y avait dans cette inspiration prolifique quelque chose d'à la fois trop familier et trop insolite pour qu'on la rangeât parmi les classiques. Ce qu'elle est devenue, pourtant, en élevant la littérature dite pour enfants à un degré jamais égalé avant elle, la différence avec Andersen étant qu'elle écrivit vraiment pour eux, alors que le Danois visait plutôt les adultes. Elle l'a dit : « Je ne veux pas écrire pour des adultes. Je veux écrire pour des lecteurs capables de faire des miracles. Seuls, les enfants peuvent faire des miracles lorsqu'ils lisent. »

À première vue, rien ne semble destiner Astrid Lindgren à la carrière d'écrivain. Elle connaît une enfance heureuse dans son Småland natal (Suède du Sud), dans un milieu au riche passé de légendes. Et si elle manifeste très tôt un grand pouvoir de fabulation, sa vaste culture tempère les excès auxquels il aurait conduit. Venue d'une famille aisée de quatre enfants, vivant à la campagne, à Vimmerby, Astrid Lindgren fait des études pour devenir employée de bureau, à Stockholm, dans les années 1920, et se marie en 1931. À partir de 1944, elle se tourne vers les lettres et devient bientôt responsable de la littérature pour enfants dans la grande maison d'édition Rabén & Sjögren.

Dès lors, le démon de l'écriture ne la quittera plus. L'œuvre s'organise d'elle-même en cycles : d'abord, à partir de 1945, celui de Pippi Långstrump, la petite fille aux nattes rousses et aux longs bas bicolores, pour nous Fifi Brindacier, qui évoque l'Alice de Lewis Carroll ou les récits romantiques fantastiques, que vont suivre notamment celui du détective Blomkvist (1946 et sq.), celui des enfants de Boucan (un village, à partir de 1947), celui de Madick (1960 et sq.), celui de Karlsson sur le toit (1955-1968) ou d'Emil de Lönneberga (1963-1970, où figure Zozo la tornade), chaque série interférant à plaisir avec les autres. On doit mettre à part l'étrange et purement fantastique Mio, mon Mio (1954).

Tous ces petits héros et héroïnes tiennent à la fois du conte de fées et du réalisme classé : ce sont des « sales gosses » au cœur d'or qui n'en font qu'à leur tête. Ils défient le monde adulte, avec son culte de l'étiquette, ses préjugés ridicules. Ils aiment la révolte pour elle-même, et ne voudraient être que liberté. Ils coïncident exactement avec ce rêve enfantin d'une force profuse, d'une fantaisie sans limites, et c'est à ce titre que leur pouvoir est bien plus fort que celui des « grands ». En fait, aspect considérable en milieu luthérien voire puritain, ce sont les conventions, quelles qu'elles soient, qui déchaînent leurs frasques, mais sans aucune méchanceté. Si cela peut déboucher sur de merveilleuses échappées poétiques, comme chez Mio, le caractère le plus pertinent de ces récits tient à une synthèse fort délicate de réalisme et d'imagination sans outrance : tel est le cas dans Rasmus et le vagabond et surtout dans le cycle d'Emil. Et il ne faut pas oublier, chez cette Suédoise, un rêve sincère de symbiose avec la nature.

La dimension enfantine de l'œuvre ne marque en rien une limite, au contraire. Il suffit de lire Les Frères Cœur de lion pour se rendre compte que de tels livres sont écrits aussi pour les adultes, dans la mesure où s'y mêlent le rural et l'urbain, le présent et le passé, l'humour et l'affliction, bref l'idéal et la satire. Reste[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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