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ATATÜRK MUSTAFA KEMAL (1881-1938)

Construction de la Turquie nouvelle

Désormais, Mustafa Kemal se consacre à sa gigantesque tâche : l'édification de la Turquie nouvelle. Pendant quinze ans, jusqu'à sa mort, il n'a d'autre but que libérer la Turquie et ses habitants de leurs entraves séculaires et les amener à un niveau avancé de civilisation matérielle, sociale et intellectuelle. Il faut, pour cela, rompre nettement avec le passé, heurter les traditions, choquer même les esprits, bouleverser les conceptions : autant de problèmes, de difficultés que, seul, il peut surmonter, d'abord par la force de son caractère, la puissance de sa personnalité, ensuite par le soutien quasi unanime de la population à son libérateur. Il faut aussi perpétuer et canaliser l'enthousiasme né de la guerre d'Indépendance, c'est-à-dire réaliser l'unité de la nation non seulement autour de son président, mais autour des idées mises en œuvre par celui-ci et répandues dans le pays par un parti unique, le Parti républicain du peuple, dont les six principes sont les suivants : républicanisme, nationalisme, populisme, étatisme, laïcisme et révolutionnarisme. Ce système de parti unique interdit l'existence de toute opposition légale ; de fait, hormis la brève apparition d'un Parti républicain progressiste en 1924-1925 et d'un Parti républicain libéral en 1930 (expériences sans lendemain autorisées par Mustafa Kemal), le P.R.P. est demeuré au centre de l'activité politique du pays, surtout lorsque, après le congrès de 1935, le ministre de l'Intérieur fut en même temps le secrétaire général du P.R.P. et que, dans les provinces, les gouverneurs en furent les présidents locaux.

Des oppositions, il n'en a pas manqué, en particulier dans les premiers temps de la République turque. Ce sont d'abord les lois sur l'abolition du califat, la suppression des tribunaux religieux et des écoles religieuses, lois promulguées en 1924, qui ont provoqué les réactions des éléments conservateurs et traditionalistes. Mais Mustafa Kemal estime que les sultans ottomans ont failli à leur tâche et que, d'autre part, la religion telle qu'elle est pratiquée et surtout enseignée, avec son influence rétrograde sur l'instruction publique, doit être reléguée au rang d'une adhésion individuelle. Cette idée du laïcisme de l'État a d'ailleurs été introduite dans un amendement à la Constitution, voté le 9 avril 1928. Par la suite, dans le domaine religieux, Mustafa Kemal fait adopter par la G.A.N. l'abolition de la polygamie, la suppression des ordres religieux et l'interdiction du port du fez (août-nov. 1925). Plus tard, en 1931, sont ajoutés l'appel à la prière en turc et non plus en arabe, la lecture du Coran en turc, ce que les musulmans traditionalistes accueillent mal. Des insurrections à caractère religieux éclatent en 1925, puis en 1930 en Anatolie occidentale ; toutes deux sont sévèrement réprimées.

Il en est de même pour des soulèvements politiques au Kurdistan, en 1925 et 1930. Déçus dans leurs aspirations nationalistes, les Kurdes ont mal supporté d'être intégrés dans la République turque ; leurs soulèvements sont suivis d'une terrible répression, qui annihile pour longtemps toute velléité de révolte. Le gouvernement turc s'efforce au maximum de turquifier les Kurdes, mais n'y réussit que partiellement.

La Constitution, votée le 30 avril 1924, attribue les pouvoirs législatif et exécutif à la Grande Assemblée nationale, élue pour quatre ans au suffrage universel (les femmes ont obtenu le droit de vote en 1934) ; en fait, les élections sont préparées, au premier degré, par le P.R.P. qui seul présente ses candidats. La G.A.N. élit à son tour, pour quatre ans, le président de la République qui, pratiquement, avec le Conseil des ministres, détient le pouvoir exécutif. Jusqu'à[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Provence-Aix-Marseille-I

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Médias

Mustafa Kemal Atatürk - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Mustafa Kemal Atatürk

Expédition des Dardanelles - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Expédition des Dardanelles

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Le général Mustafa Kemal Atatürk, en 1922

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