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ATELIER, art

L'atelier européen du XVe au XVIIe siècle. Périmètre technique et espace imaginaire

On note alors une décomposition progressive de la structure corporative, une dégradation des traditions de travail que sauvegardaient la rigidité féodale de l'apprentissage et les contrôles de qualité, moins de contraintes, moins de secret dans les recettes d'atelier. Avec les guerres d'Italie apparaissent les artistes de Cour et les premières manufactures. C'est François Ier qui inaugure la manufacture de tapisserie de Fontainebleau, la soierie du Lyonnais et les premières fonderies. Parce que l'Italie ignorait la centralisation politique et conservait dans sa latinité l'esprit du mécénat, elle se trouvait alors beaucoup plus libérée, dans les ateliers de principautés et de duchés, des structures médiévales du travail. La France, les Flandres, l'Angleterre ne connaissaient encore que la rigidité ténébreuse du Moyen Âge. Ce que l'Italie connut dès le xve siècle, et dont le reste de l'Europe ne bénéficie qu'au xvie siècle, ce fut la distinction capitale entre les métiers et les arts. Artisans et artistes encore mêlés et solidaires quant aux procédures techniques se séparent progressivement à mesure qu'une classe bourgeoise s'intéresse aux objets esthétiques et en commande pour elle-même ; cette classe riche est prête à payer beaucoup. Aux yeux du pouvoir ducal, princier ou royal, aux yeux de ces riches marchands qui, anciens fils de maîtres, deviennent des personnages cultivés et puissants, l'artiste prend lentement un tout autre visage. Conscient de son génie, goûtant l'éclectisme, maniant le discours et les idées, il devient un nom, une personnalité distincte et originale cherchant la gloire et fréquentant les savants. Ce qu'était l'Athènes de Périclès, la Rome d'Auguste, la Chine des T'ang ou des Song devient l'apanage de toute l'Europe occidentale. L'atelier devient alors le chantier respecté d'un travail plus ou moins solitaire où l'artiste se conduit en maître, en pédagogue de culture générale, en théoricien inspiré. On y distingue l'adresse du talent, et le passage à la maîtrise, quand l'épreuve subsiste, devient une véritable initiation à une conception générale du monde. Les commandes sont de plus en plus profanes ; on fait des portraits à domicile, l'atelier s'étale matériellement dans l'espace social, alors que surgit au sein de l'atelier même un espace imaginaire : celui de l'iconographie de l'atelier, où l'artiste se figure lui-même. Le périmètre technique prend une dimension spéculaire et irréelle qui le prolonge dans la toile par l'autoportrait ou le jeu des miroirs.

<it>L'Atelier</it>, J. Vermeer - crédits :  Bridgeman Images

L'Atelier, J. Vermeer

Pendant que naissent les beaux-arts, les ouvriers, souvent employés par les artistes eux-mêmes, constituent une masse laborieuse dont les conditions de vie n'ont guère changé, toujours à la merci de quelque épidémie ou famine, dans une profonde séparation de la main technicienne et de la main animée par l'esprit. Sur le plan technologique, l'atelier bénéficie de toutes les innovations scientifiques, de toutes les idées philosophiques. Il devient un lieu d'audace ; les œuvres sont collectives, mais de façon hiérarchique ; le maître signe. L'artiste produit de la « chose mentale », pour reprendre l'expression de Léonard de Vinci dont la figure incarne de façon exemplaire l'esprit nouveau. L'inspiration platonicienne atteint métiers manuels et mécaniques qui perdent tout lustre : désormais dans l'atelier on ne fabrique plus, on pense, et l'on ose créer. Un nouveau modèle de production s'impose, celui de la création. Les bouleversements scientifiques secouent la théologie et autorisent cette valorisation du travail humain. Il n'y a pas que Dieu qui crée, même dans la glorification, on ne culpabilise plus le génie ni le plaisir[...]

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<it>Alexandre et Campaspe dans l'atelier d'Apelle</it>, G. Tiepolo - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

Alexandre et Campaspe dans l'atelier d'Apelle, G. Tiepolo

<it>L'Atelier</it>, J. Vermeer - crédits :  Bridgeman Images

L'Atelier, J. Vermeer

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Réunion d'artistes dans l'atelier d'Isabey, L.L. Boilly

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