ATHÉISME
Les catégories théologiques
Nous avons dit que le mot « athéisme » est une appellation populaire qui ne s'est trouvée définie qu'indirectement par subsomption sous des catégories conceptuelles pourvues d'un statut canonique, officiel. La première de ces catégories juridico-théologiques est celle des crimes d'impiété. Le mot « religion », au sens institutionnel que nous lui donnons aujourd'hui, n'est pas tout à fait synonyme des mots qu'employaient les Anciens. Mais, grosso modo, on pourrait traduire par « religion » et « irréligion » ce qu'ils appelaient « piété » et « impiété ». Pour comprendre ce qu'étaient les délits d'impiété, il faut se rappeler que, pour toute l'Antiquité, y compris le judaïsme, la religion est un ensemble d'observances rituelles. Les dieux ont droit au culte, de sorte que la piété est une partie de la justice. Violer la religion, c'est offenser la justice divine. Il n'y a pas d'orthodoxie. Les dieux de l'Antiquité ne s'intéressaient que distraitement à ce que les hommes croient ou ne croient pas. D'une manière générale, le concept de « croyance » (avec son contraire l'incroyance) n'est pas un concept religieux ; c'est un concept philosophique, que l'on retrouve chez les apologètes et les controversistes chaque fois qu'il s'agit d'argumenter rationnellement ; il appartient au métalangage, c'est-à-dire à l'argumentation réflexive sur la religion. Une croyance n'est religieuse qu'en prenant la forme d'une obéissance aux coutumes ancestrales ou aux oracles divins. La Fides est une fidélité aux serments ou une confiance (fiducia) qui intègre l'individu dans des liens sacrés de solidarité. Dire que l'athéisme est un crime d'impiété, c'est dire à la fois qu'il transgresse les obligations civiques de la piété, qu'il place le coupable en dehors des solidarités sacrées et qu'il offense la justice divine, fondée sur des rapports de forces entre les puissances célestes et les faibles mortels.
Avec l'avènement du christianisme (et plus tard de l'islam), les crimes d'impiété devinrent des péchés d'infidélité. C'est nous aujourd'hui qui parlons de croyants et d'incroyants. Mais la tradition ecclésiastique, dans son vocabulaire officiel, nomme les « fidèles » et les « infidèles ». Il existe un catalogue des infidélités. Saint Thomas en distingue trois espèces : celle des païens, celle des hérétiques et celle des juifs (IIa, iiae, q. 10, a. 5). Une quatrième n'a de nom qu'en grec : c'est l'apostasie (IIa, iiae, q. 12). Saint Thomas explique que les vices sont sans nombre, de sorte qu'on ne peut les distinguer que par contraste avec la classification des vertus et que, de même, le nombre des erreurs est infini, une « règle de foi » permettant seule de les classer comme infidélités. On ne saurait mieux dire que la Vérité divine n'a rien d'extérieur à elle ; l'enfer même tombe sous son jugement. Pourquoi y a-t-il des péchés d'infidélité ? Parce que la croyance ne devient religieuse dans le christianisme qu'en devenant une foi. La foi est une croyance à la deuxième puissance : le chrétien (et aussi le musulman) croit qu'il faut croire pour être sauvé. La doctrine enseigne la nécessité de la foi pour le salut. C'est un dogme ; cela fait partie des choses à croire. La puissance salvifique de la foi est elle-même objet de croyance. Le catalogue des infidélités est demeuré presque sans changement jusqu'au xixe siècle. Quelques nouvelles rubriques apparaissent alors. Par exemple, en 1832, à propos de la condamnation de Lamennais, s'introduit la notion d'indifférentisme : « De cette source putride de l'indifférentisme[...]
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Écrit par
- Edmond ORTIGUES : professeur émérite à l'université de Rennes
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