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EGOYAN ATOM (1960- )

La recherche de la position juste

Ararat (2002) représente, dans cet ordre d'idées, une somme dialectique des préoccupations d'Egoyan et peut servir de grille de lecture à tous ses films, mais aussi à sa filmographie envisagée comme un ensemble. Un cinéaste canado-américain notoire, Saroyan, tente de mettre en scène une fiction sur le génocide des Arméniens par les Turcs en 1915. Son scénario prend une autre tournure lorsqu'il rencontre une historienne d'art, Ani (interprétée de nouveau par Arsinée Khanjian). Elle lui parle du peintre Arshile Gorky qui, échappant au massacre, tenta, sans vraiment y arriver, de faire le portrait de sa mère d'après une photo prise, avec lui, en 1912. Saroyan fait de l'artiste un des personnages de la fiction historique, sans souci de vérité factuelle, mais avec le sentiment qu'il s'agit là d'une nécessité incontournable pour son film. Gorky ne parvient pas à trouver la position juste pour dépeindre sa mère, laissant ainsi, comme Egoyan dans la plupart de ses films, des lignes de fuite, et des moments d'inachèvement.

Cette « position juste » qui se dérobe quand il y a trop de souffrance, trop d'art, trop de réalités à médiatiser, c'est celle que le metteur en scène de la fiction (Saroyan), comme l'auteur d'Ararat lui-même, recherchent tout au long de leur vie et de leur œuvre. Ani a un fils, Raffi, né au Canada, qui veut comprendre tous ces phénomènes avec la sensibilité de sa génération, et part pour la Turquie.

Parallèlement à ce travail sur la fiction, Egoyan revient à ses racines avec, en 1997, le court-métrage America, America (à l'origine, cette œuvre faisait partie d'une installation conçue pour la Biennale de Venise) qui évoque, pour la première fois de manière aussi claire, chez l'auteur, la question du génocide arménien. A Portrait of Arshile (1995), un court-métrage de quatre minutes consacré au tableau The Artist and his Mother (1926-1936), qui est une des clés de Ararat, permet de mieux appréhender la filmographie récente du cinéaste. Celui-ci filme son fils, âgé d'un an, qu'il a prénommé Arshile, et lui explique pourquoi : c'était le nom que s'est donné le peintre Arshile Gorky lorsqu'il a émigré aux États-Unis après le massacre des siens. On sait, à partir de là, que l'interlocuteur privilégié des films d'Egoyan est, maintenant, son fils.

Les premiers protagonistes des films d'Egoyan sont des alter ego du cinéaste : Peter/Bedros dans Next of Kin ou Van dans Family Viewing. Les instruments et les thèmes pour traduire leur monde sont : l'œil intérieur (le cerveau), l'œil extérieur (la caméra), la recherche d'une identité, la volonté de s'immiscer de force (comme par la suite les héros matures et vieillissants de The Adjuster et De beaux lendemains) dans une communauté pour la sauver ou la pervertir. Les rouages de la narration sont encore très apparents ici. Par la suite, tout s'accélère et les repères disparaissent. Après Calendar (1993), le film le plus hybride du cinéaste, les éléments les plus formels de son œuvre migreront vers les installations, alors que, dans ses films, il cherchera à travailler de plus en plus la matière même de la fiction pour la pervertir et en changer les codes de l'intérieur.

Comme David Lynch, dont il se rapproche à partir d'Exotica (1994), Egoyan cisèle, taille et réorganise des morceaux épars, fluctuants, de fictions polysémiques proches parfois de l'abstraction. Le cinéma est un outil à la fois plastique et philosophique qui a le pouvoir de faire autre chose que de mettre en image des idées. Le cinéaste s'est doté d'un univers reconnaissable entre tous, et, à chaque opus, il y ajoute de nouveaux éléments. Bedros, Van, les fils des premiers films, vieillissent avec lui. Noah, l'assureur de [...]

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