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ATTACHEMENTS. ENQUÊTE SUR NOS LIENS AU-DELÀ DE L'HUMAIN (C. Stépanoff) Fiche de lecture

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L’essai de l’anthropologue Charles Stépanoff Attachements. Enquête sur nos liens au-delà de l'humain (La Découverte, 2024) vient conclure une trilogie commencée avec Voyager dans l’invisible (2019), livre sur le chamanisme, et poursuivie avec L’Animal et la mort (2021), traitant de la chasse.

Ces ouvrages s’enracinent dans des enquêtes de terrain que l’anthropologue – directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) après avoir enseigné à l’École pratique des hautes études (EPHE) – a menées en Sibérie et en France à partir des années 2000. Dans le sillage des travaux de Philippe Descola et de Bruno Latour, ils plaident pour une recomposition des relations entre les humains et leur environnement à la lueur des savoirs et des techniques développées par des sociétés qui vivent de la chasse, de l’élevage et de la collecte. Alors que les sociétés modernes ont développé des relations affectives avec les animaux et les plantes domestiques et en ont exclu les autres vivants, relégués au statut de marchandises, les sociétés non modernes ont des relations métaboliques avec ces vivants, auxquels ils sont attachés par des réseaux denses, non étalés.

Le livre explore ces réseaux selon trois parties. La première analyse les raisons pour lesquelles les humains ont développé des relations au-delà de leur espèce. La seconde critique la notion de domestication, qui empêche de percevoir la richesse et la diversité de ces attachements. La troisième interroge le processus par lequel les humains s’en sont progressivement éloignés et séparés.

L’apprivoisement

Charles Stépanoff décrit l’espèce humaine comme tiraillée de façon contradictoire entre, d’une part, la nécessité de chasser pour se nourrir et, d’autre part, le besoin de prendre le point de vue des autres espèces pour nouer des relations avec elles, et éventuellement s’en nourrir. La possibilité d’adopter le point de vue d’autrui est aussi à l’origine, selon Stépanoff, de l’éducation des enfants. Dans la plupart des sociétés, les bébés sont considérés comme des quasi-personnes, dont le langage est plus proche de celui des animaux que de celui des adultes. C’est en apprenant à parler à ses bébés, du fait de la condition de néoténie propre à l’espèce humaine, que celle-ci a appris à parler aux autres espèces.

Pour étayer cette hypothèse, Stépanoff étudie les techniques par lesquelles un grand nombre de sociétés humaines apprivoisent des animaux non humains. Des animaux orphelins sont apprivoisés par des chasseurs considérés alors comme leurs maîtres et reçoivent un nom individuel, ce qui les distingue des plantes et des animaux domestiques qui ont une vie reproductive propre, même si celle-ci passe sous le contrôle des humains. Il est interdit de manger des animaux apprivoisés, mais pas des animaux domestiques.

Les sociétés humaines ont développé des techniques pour communiquer avec les animaux sur le modèle de leur communication avec leurs bébés. La forme la plus simple est le huchement, composé d’onomatopées. La plus complexe est le rituel, dans lequel un spécialiste (le chamane en Sibérie) communique avec les esprits des animaux par un langage codé. Le rituel est donc une façon pour les humains de s’ouvrir à d’autres puissances d’agir que les leurs propres, dans une socialité étendue à d’autres espèces.

La domestication des animaux suit d’autres contraintes que celles liées à la communication et que Stépanoff résume dans l’opposition entre menace interne et menace externe dans l’élevage du renne par les Tozhu de Sibérie. Les rennes doivent rester assez prêts des humains pour bénéficier de leurs ressources, notamment le sel et l’urine, et pour être protégés des loups, mais ils doivent se tenir suffisamment à distance pour ne pas être victimes d’épizooties. Les Tozhu ont résolu cette[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche CNRS, membre du Laboratoire d'anthropologie sociale

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