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AU BONHEUR DES DAMES, Émile Zola Fiche de lecture

Au désir des femmes

Héritier du Balzac de La Maison du chat-qui-pelote et de Grandeur et décadence de César Birotteau, Zola reprend ici un thème déjà abondamment traité : celui de l'expansion des grands magasins au détriment du petit commerce. Un motif d'autant plus familier aux lecteurs contemporains qu'ils pouvaient tous les jours, à Paris comme dans les grandes villes de province, en observer les manifestations et en mesurer les conséquences. Outre l'intérêt que ne pouvait manquer de susciter chez le romancier naturaliste une réalité sociale aussi frappante, on peut imaginer que Zola a trouvé, consciemment ou non, dans l'évocation de ces lieux d'abondance, l'occasion de céder à une compulsion d'inventaire déjà à l'œuvre, par exemple, dans Le Ventre de Paris. De fait, rien ne sera épargné au lecteur des étoffes, accessoires et autres colifichets féminins, dont la description détaillée, à plusieurs reprises, constitue autant de morceaux de bravoure. Mais c'est probablement dans un autre lieu de la psyché zolienne que se tient l'essentiel.

Au bonheur des dames : le titre en soi est déjà tout un programme, qui superpose, dans une relation métonymique, le lieu central de l'action – le grand magasin – et le personnage principal – Octave Mouret –, tous deux grands dispensateurs de plaisir. Car là est bien l'enjeu du livre, qu'obsède un érotisme permanent : Octave le séducteur, le voluptueux, l'homme à femmes, crée à leur intention un véritable lieu de débauche, où s'accumulent tous les objets susceptibles de les tenter, où s'offrent à s'exaucer tous les désirs inavoués. Rêve féminin, mais aussi fantasme masculin : dans les rayons du magasin, parmi les soieries, les lingeries, les dentelles, les femmes s'abandonnent. Et chez Zola, dès qu'il est question de désir, fascination et répulsion viennent s'entremêler.

Il convient donc de prendre avec circonspection les déclarations d'intention du romancier : « Je veux dans Au bonheur des Dames, note-t-il dans l'Ébauche, faire le poème de l'activité moderne. Donc, changement complet de philosophie : plus de pessimisme d'abord, ne pas conclure à la bêtise et à la mélancolie de la vie, conclure au contraire à son continuel labeur, à la puissance et à la gaieté de son enfantement. En un mot, aller avec le siècle, exprimer le siècle qui est un siècle d'action et de conquête, d'efforts dans tous les sens. Ensuite, comme conséquence, montrer la joie de l'action et le plaisir de l'existence ; il y a certainement des gens heureux de vivre, dont les jouissances ne ratent pas et qui se gorgent de bonheur et de succès. » Si Au bonheur des dames est à peu près le seul roman de Zola qui se finit bien, on ne saurait en oublier ce que le spectacle et la description de la puanteur du monde, dans les œuvres les plus « noires » du romancier, ont de sourdement attirant, pour ne pas dire jubilatoire. Il en va de même pour les zones d'ombre de ce prétendu « poème de l'activité moderne ». Ainsi, derrière l'apparence (pas fausse bien sûr) d'un hymne au modernisme, trop volontariste pour ne pas susciter quelques soupçons, on notera le retour significatif, pour caractériser le magasin, de la double métaphore monstre-machine par laquelle Zola a coutume de désigner, quasi obsessionnellement, les lieux ou les choses qui broient les hommes et les réduisent en esclavage (l'alambic de L'Assommoir, la locomotive de La Bête humaine, le Voreux de Germinal, etc.) : « Était-ce humain, était-ce juste, cette consommation effroyable de chair que les grands magasins faisaient chaque année ? Et elle plaidait la cause des rouages de la machine, non par des raisons sentimentales, mais par des arguments tirés de l'intérêt même des patrons. »[...]

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