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AUFKLÄRUNG

Trop souvent identifiée sommairement à l'« âge des Lumières », l'Aufklärung se laisse mal délimiter et plus mal encore définir : elle peut sembler commencer avec Wolff (mais peut-être, déjà, avec Thomasius) et se terminer avec Kant, qui pourtant semble en marquer l'apogée plutôt que la fin.

C'est que la situation culturelle de l'Allemagne du xviiie siècle diffère sensiblement de celles de l'Angleterre ou de la France : l'intelligentsia allemande de cette époque ignore à peu près l'antagonisme entre philosophie et religion et le renouveau philosophique s'inscrit à l'intérieur du christianisme. De plus, ce renouveau est d'abord spéculatif : il privilégie la logique et la métaphysique, quelque peu reléguées en France et en Angleterre. Enfin, d'un point de vue sociologique, le renouveau est essentiellement dû aux professeurs et aux pasteurs, les nobles n'ont guère d'influence, sinon au plus haut niveau, et la bourgeoisie se défie de la spéculation.

Christian Thomasius (1655-1728) semble la figure initiatrice de l'Aufklärung : théologien, philosophe, juriste et pédagogue, il allie piétisme et éclectisme ; aucune école ne peut s'attribuer le monopole de la vérité, mais sans l'aide de Dieu l'homme est incapable de découvrir le vrai ni de suivre la vertu. Pourtant, Thomasius admet une lumière naturelle et sépare le droit et la morale de la théologie. Les thèmes généraux de sa pensée inaugurent vraiment la thématique de l'Aufklärung : tolérance religieuse, liberté de pensée et de dispute, lutte contre l'autorité traditionnelle et les préjugés, abolition de la torture.

Christian Wolff (1679-1754), l'autre grande figure de l'Aufklärung philosophique, s'oppose à Thomasius, dont il rejette la superficialité et le piétisme : il s'efforce de bâtir un système philosophique logique, mais non dogmatique, dans lequel l'expérience joue un rôle important. Il réaffirme l'importance de l'ontologie comme science de l'être en général en tant que possible et écrit une Cosmologie générale, science a priori de tout monde matériel possible. C'est dans ces domaines qu'il prépare le plus nettement les philosophies du xixe siècle (jusqu'à Hegel). D'une manière générale, en psychologie et en morale, Wolff défend la raison humaine contre toute limitation extérieure (sinon peut-être biologique).

Cependant, à côté de la philosophie universitaire, une « philosophie populaire » se développe sans qu'il soit possible de distinguer radicalement les deux courants. Hostile au langage technique et à l'ordre abstrait des traités, la « philosophie populaire » souhaite une clarté toute littéraire dans l'argumentation des références concrètes et un recours au sentiment. Empiriste par bien des aspects, elle se rapproche un peu de la pensée de Thomasius en revendiquant une liberté de pensée dépourvue de tout contenu révolutionnaire. Elle s'élabore surtout dans les salons bourgeois où se distinguent certains hommes d'affaires et des fonctionnaires. À Berlin, Moses Mendelssohn (1729-1786), Christoph F. Nicolai (1733-1811), éditeur et journaliste, et G. E. Lessing (1729-1781), dramaturge important et réformateur de l'esthétique, en sont de typiques représentants.

Jusqu'en 1740, l'école thomasienne et le wolffisme dominèrent la philosophie. Mais l'accession au trône de Prusse de Frédéric II renouvela considérablement l'esprit de l'Aufklärung. Fervent admirateur de la pensée française, lui-même fortement sceptique, il ne se contente pas de s'entourer de personnes éminentes comme le marquis d'Argens, Offroy de La Mettrie, Voltaire ou d'Alembert. En réorganisant l'Académie de Berlin, qu'il confie à Maupertuis, il renouvelle considérablement l'attitude philosophique[...]

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