SANDER AUGUST (1876-1964)
L'œuvre majeure d'August Sander, intitulée Hommes du XXe siècle, constitue sans doute un des plus grands monuments photographiques de la première moitié du xxe siècle. Il s'agit d'un projet singulièrement ambitieux, à la fois resté inachevé et partiellement détruit (par les nazis en 1936, puis en 1944), mais dont on a pu proposer une reconstitution remarquable : August Sander : Hommes du XXe siècle (recueil de 431 portraits, publication dirigée par son fils, Gunther, accompagnée d'une étude détaillée de l'historien Ulrich Keller, 1980). Ce projet fut conçu dès le début des années 1920 : il avait pour objectif de réaliser par les moyens de la photographie le portrait systématique de l'Allemagne de la république de Weimar sur le mode d'une sorte d'inventaire sociologique de tous les types humains correspondant aux divers métiers et classes sociales du pays et de l'époque. De ce projet, Alfred Döblin écrivait déjà en 1929 : « On a là une sorte d'histoire de la civilisation ou, mieux, de sociologie des trente dernières années. Comment faire de la sociologie sans écrire mais en montrant des images, des photos de visages, voilà ce à quoi parvient le regard de ce photographe. De même qu'il existe une anatomie comparée qui seule permet d'établir la nature et l'histoire des organes, de même ce photographe fait de la photographie comparée et a su ainsi accéder à un point de vue scientifique qui le place au-dessus des photographes de détails. »
Le portrait documentaire
August Sander est né à Herdorf, près de Cologne, en 1876. Il connaît la mine où son père travaillait déjà comme charpentier et où il découvre sa passion pour la photographie, ayant eu fortuitement l'occasion d'assister le photographe Schemeck. Il se lie avec le photographe Jung au cours de son service militaire, après quoi il entame un apprentissage itinérant qui le mène de Magdebourg à Berlin, Chemnitz et Dresde. Il suit un enseignement complet en peinture à l'Académie de cette dernière ville, se marie en 1902 et aura trois enfants. Après avoir été initié au style de la photographie picturale, Sander ouvre en 1904 son studio à Linz (Autriche), sur le Danube et s'essaie aux photographies bichromatées. La photographie industrielle et architecturale lui assure des moyens d'existence, tandis que le portrait d'art lui vaut toutes sortes de prix. C’est par ces portraits expressifs et individualisés de la bourgeoisie qu'il obtient quelque célébrité. En 1910, il retourne définitivement dans sa région natale, à Lindenthal près de Cologne, avec sa famille, ouvre un nouvel « atelier d'art pour photographies familières » et parcourt, en quête de portraits à réaliser, la région du Westerland où vivent de nombreux paysans.
Pendant la guerre de 1914-1918, August Sander est affecté aux services photographiques, puis, de retour dans sa région après la guerre, il exerce le métier de photographe itinérant. Dans un style nouveau, conformément au goût émergeant pour les « portraits historiques » ou « sociologiques », Sander essaie de saisir l'identité allemande dans sa diversité. Cette forme de travail et une rencontre avec les peintres « progressistes allemands », avec H. Hœrle et F. W. Seiwert en particulier, l'amènent à concevoir ce vaste projet d'une sociologie en images de l'Allemagne. Désormais, chaque jour, il photographie, rassemble, organise, va rechercher ses anciens négatifs, réutilise toutes ses archives, accumule un fichier de « têtes » et de « personnages » « simples et naturels », de plus en plus énorme et systématique. En 1927, il expose une première partie de ce travail au palais des Beaux-Arts de Cologne. L'éditeur Kurt Wolff se lance en 1929 dans une première édition de soixante tirages regroupés sous le titre [...]
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Écrit par
- Philippe DUBOIS : enseignant-chercheur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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