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SANDER AUGUST (1876-1964)

Un inventaire sociologique

Toutes ces photos nous montrent, dans des cadrages qui ne sont pas serrés (en pied ou coupés à la taille), en éclairage naturel et sans fioritures, un ou plusieurs personnages au regard pénétrant ; posant face à la caméra, assis ou au garde-à-vous, mis en scène dans leur environnement naturel (leur « cadre de vie »), en habits de travail ou endimanchés pour une fête, de tous les milieux et de toutes les conditions. Tout marche par séries, par rapprochements, par ensembles. La structure globale de l'ouvrage projeté devait comporter sept grandes sections (comportant chacune plusieurs cartons : 45 au total, de 12 photos chacun) : I « Le Paysan » ; II « L'Artisan » (entre autres l'ouvrier, l'industriel, l'inventeur) ; III « La Femme » ; IV « Les Catégories socioprofessionnelles » (l'étudiant, l'employé, l'érudit, le médecin, le juge, l'aristocrate, l'ecclésiastique, l'enseignant, le commerçant, l'homme politique) ; V « Les Artistes » ; VI « La Grande Ville » (les rues, les fêtes, l'architecture, ceux qui s'en servent) ; et, enfin, VII « Les Derniers des hommes » (débiles, malades, aveugles, mutilés).

Un tel projet, dans ce qu'il a à la fois de sérieux (jusqu'au scientifisme apparent) et d'obsessionnel, dans cette passion du corps social, offre aujourd'hui un panorama tout à fait exemplaire de physionomies, d'attitudes, d'habillements, de cadres de vie de l'Allemagne entre 1918 et 1936. Réunies, ces photographies réalistes de travailleurs, ouvriers et paysans, prennent l'aspect d'une chronique sociale où il s'agit moins de faire le portrait d'individus isolés que de toute une société. Dans le style du « portrait direct » ou de la « photographie exacte », l'objectivité et la beauté simple de ces images nous séduisent toujours. Toutefois, les modalités et les finalités du projet n'étaient pas de nature à convenir au national-socialisme en pleine ascension. Le fils aîné de Sander, Erich, fut emprisonné dès 1934 pour activités subversives et mourut dix ans plus tard en prison.

Ces personnes photographiées objectivement, dans des attitudes figées, légèrement inquiètes et quelque peu angoissantes, sont réduites à un échantillonnage, à l'anonymat. De portraits documentaires, ces photographies acquièrent une dimension de critique sociale. Aussi, les nazis, en 1936, envoyèrent au pilon tous les exemplaires imprimés de Visages de ce temps et détruisirent les matrices des clichés originaux. En 1944, cinquante mille négatifs mis de côté par Sander sont jetés au feu au cours d'une séance de pillage.

Après la fin de la guerre, Sander se remet à la photographie mais avec d'autres projets qu'il va reprendre et développer. Notamment celui des « dossiers culturels sur les hommes et les paysages », où le classement des physionomies se fait en fonction non des classes sociales, mais des origines régionales. Cela donnera lieu à une série d'albums sous le titre Régions allemandes, peuples allemands. Ou encore, un album sur sa ville : Cologne telle qu'elle fut, acheté en 1953 par le musée de Cologne. Chez Sander, la dimension sociologique laisse peu de place aux expérimentations formelles.

L'œuvre photographique de Sander ne fut reconnue dans toute sa dimension, aussi bien en Allemagne qu'au-delà des frontières de ce pays, qu'à partir des années 1950, à travers notamment quatre-vingts portraits choisis par Edward Steichen pour son exposition The Family of Man (1955) au Museum of Modern Art de New York. En 1962, Hommes du XXe siècle est réédité à partir des éléments dont on dispose.

— Philippe DUBOIS

—  ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS

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Écrit par

  • : enseignant-chercheur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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