STRINDBERG AUGUST (1849-1912)
La vocation
Bachelier en 1867, il s'inscrit à l'université d'Uppsala sans trop savoir au juste ce qu'il veut faire de sa vie. La mode est aux sciences exactes : il songe à devenir médecin. Étudiant pauvre, obligé de donner des leçons dans une école populaire pour vivre, il souffre d'inadaptation et cherche à vaincre sa timidité en s'essayant au métier d'acteur au Théâtre royal dramatique. C'est un temps de flottement : forcé d'abandonner ses études par manque de ressources, il est employé du télégraphe, journaliste. En même temps, ouvert à tous les vents de l'esprit, incapable de se fixer, il s'essaie à tout, trait de caractère qui ne se démentira pas jusqu'à sa mort. Une tragédie en vers, La Fin de l'Hellade (Den sjunkande Hellas, 1869), est couronnée par l'Académie suédoise (il la remaniera plus tard sous le titre Hermione). Quelques drames qu'il fait tenir pour des essais, comme Le Libre Penseur (Fritänkaren, 1869), À Rome, la première de ses pièces qui ait été représentée (1870), attestent la lecture attentive de Schiller, Byron, Kierkegaard et Shakespeare, les deux derniers surtout, qui resteront les phares de ce navigateur moins solitaire qu'on ne s'est plu à le dire.
L'année 1870 marque aussi la découverte de Georg Brandes (et en particulier de ses commentaires sur Shakespeare), le grand éveilleur des consciences littéraires dans les pays nordiques. Jusqu'en 1874, c'est la dispersion. Un petit héritage avait permis à Strindberg, en 1869, de reprendre quelques études et même de fonder l'association Runa qui reprenait le vieux thème romantique de l'exaltation du passé nordique. Il écrit alors des articles de critique d'art dans les Dagens Nyheter, manifeste un intérêt pour les milieux artistes – que l'on retrouvera dans les pièces « naturalistes » –, connaît un moment de passion pour la peinture (Strindberg a laissé quelques belles marines, ainsi que des paysages non dépourvus de qualité) qui va de pair avec un sens très averti de mélomane (Bach et Beethoven surtout) ; il a des difficultés sinon des conflits avec sa famille : il quittera Uppsala sans avoit terminé ses études, en 1874, et obtiendra, pour huit ans, un poste de bibliothécaire adjoint à la Bibliothèque royale de Stockholm, qui lui assurera quelque stabilité matérielle.
Un sujet a hanté ces années incertaines : Maître Olof (Mäster Olof), drame qu'il remettra plusieurs fois sur le chantier en donnant d'abord une version en prose (1872 et 1874), puis en vers (1876). Il n'importe pas tellement que le fond en soit historique : Olof fut l'introducteur du protestantisme en Suède, sous Gustave Vasa qui l'utilisa à des fins politiques pour le forcer finalement à se rétracter le jour où Olof critiqua publiquement sa conduite. L'œuvre est en vérité le drame de la vocation intransigeante et encore plus celui de la jeunesse, absolue mais déchirée, ce qui nous vaut un personnage contradictoire et emporté qui est le prototype du personnage Strindbergien : la projection sur scène, selon des techniques qui défient les usages de l'époque mais qui trouveront une éclatante reconnaissance trois quarts de siècle après, de l'univers intérieur de l'auteur. Mäster Olof a-t-il la vérité ? La question est oiseuse : sa vérité est de la chercher, dans une intransigeance où il entre d'ailleurs quelque chose d'ibsénien. Pour la première fois, le cri est lancé qui se répercutera d'œuvre en œuvre à travers une soixantaine de pièces de théâtre, une vingtaine de romans ou de nouvelles, le cri ou plutôt l'appel : qui suis-je ? qui est-il ? qui sommes-nous ? Il faudra attendre 1881 pour qu'un théâtre accepte de jouer cette œuvre révolutionnaire.
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Écrit par
- Régis BOYER : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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