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STRINDBERG AUGUST (1849-1912)

La tentation naturaliste

Le séjour en France est directement responsable du passage au naturalisme, qui ouvre une période d'une extrême fécondité. Non que le naturalisme à la Zola corresponde exactement au génie de Strindberg, de toute façon beaucoup trop présent dans son œuvre pour livrer impartialement des tranches de vie. Mais un aspect au moins de l'école répond à ses tropismes : la violente dénonciation de la société, l'accent fortement mis sur ses côtés sombres. Le premier recueil de nouvelles, Mariés, s'en prend aux institutions suédoises, mariage aussi bien que religion établie : il n'en faut pas plus pour que le tribunal de Stockholm l'assigne à comparaître ; il se défend bien, est acquitté (1884), mais voici maintenant alimentée, et durablement, une manie de la persécution qui ne connaîtra plus guère le répit. L'antiféminisme forcené du second recueil (1885) illustre sans équivoque le passage à ce que L. Maury appelle le « radicalisme » scandinave, cette rage d'absolu, cette volonté de pousser théories et applications jusqu'en leurs derniers retranchements, attitude qui va désormais ponctuer, par soubresauts et dans tous les domaines, l'histoire des pays nordiques, et dont nous voyons encore, aujourd'hui, les effets dans le domaine politique et social. Strindberg n'en est pas à proprement parler l'inventeur : il faudrait, encore une fois, nommer Almqvist et ajouter Brandes, Kierkegaard et Ibsen. Mais il l'incarne parfaitement, en vertu de ce rythme de pulsion nerveuse qui régit sa vie et qui ne se connaît vraiment que dans le paroxysme de la crise. Athéisme, scientisme, positivisme : ce sont pour le moment ses mots d'ordre. On a déjà suggéré le paradoxe que recouvre cette ardeur nouvelle. Radical, il ne l'est qu'en fonction de lui-même. Et l'on sent bien que son vrai père spirituel est Rousseau qui, lui aussi, tenta de se divertir, au sens pascalien du terme, de soi-même en se jetant tête baissée dans toutes les utopies de la conjoncture. Mais l'unité profonde, chez l'un comme chez l'autre, réside dans le « cet homme, ce sera moi » des Confessions comme de la série autobiographique Dans la Chambre rouge, Le Fils de la servante (Tjänstekvinnans son, 1886), Fermentation (Jäsningstiden, 1886) et L'Écrivain (Författaren, 1909) qui tient le milieu entre le Journal d'un fou de Gogol (il écrira d'ailleurs, lui aussi, Le Plaidoyer d'un fou auquel G. Loiseau donnera sa forme définitive) et les Confessions. Ce n'est pas le caractère documentaire de ces œuvres qui nous retient le plus, mais la crispation, la frénésie de l'homme qui ne cherche pas tant à s'expliquer qu'à se connaître, à s'accepter, fasciné par cet abîme qu'il véhicule de pays en pays (il vient de quitter la France où il a écrit une étude, Au milieu des paysans français, publiée en 1889, pour le lac de Constance où il écrit Les Habitants de Hemsö), de femme en femme (après procès, il divorce d'avec Siri von Essen, en 1892, pour épouser, sans plus de succès, l'année suivante, une jeune journaliste autrichienne, Frida Uhl) et d'œuvre en œuvre.

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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