AUGUSTE PRÉAULT, SCULPTEUR ROMANTIQUE (exposition)
Dans les années 1960, la sculpture française du xixe siècle méritait l'appellation de terra incognita. La situation a profondément changé par la suite, grâce aux publications et aux expositions qui se sont multipliées depuis lors. Le grand public, lui, n'a pourtant guère suivi, soit que la sculpture exige, pour être appréciée, un effort d'attention plus soutenu que la peinture, soit que, restée plus traditionnelle que celle-ci au cours du xixe siècle, elle ait été victime du préjugé tenace qui fait de l'innovation, de ce qu'on appelle la modernité, le critère principal, pour ne pas dire le seul de la qualité esthétique.
Le public ne s'est pas pressé à l'entrée de l'exposition rétrospective consacrée au sculpteur Préault, que ce soit au musée d'Orsay ou à Blois (exposition présentée au musée d'Orsay, du 20 février au 18 mai 1997, au château de Blois, du 20 juin au 28 septembre, et au Van Gogh Museum d'Amsterdam, du 7 octobre 1997 au 11 janvier 1998). Cette indifférence, à laquelle les réactions d'une critique toujours aussi décevante dans son conformisme et son aveuglement ont sans doute quelque peu contribué, est doublement regrettable. Accompagnée par la publication d'un ouvrage monumental comprenant une biographie détaillée, le catalogue raisonné de toute son œuvre et une édition critique de sa correspondance, l'exposition offrait une occasion unique de porter un jugement sur l'art d'Auguste Préault, dans la mesure où elle rassemblait, sinon l'ensemble de ses sculptures qui avaient pu être conservées, du moins la majorité d'entre elles, et les plus célèbres, pour autant qu'on puisse parler de célébrité à leur propos. Mais elle permettait aussi de découvrir l'un des plus grands sculpteurs, pour ne pas dire le plus grand sculpteur français du xixe siècle avant Rodin, et l'un des grands maîtres de la sculpture occidentale.
L'éloge risque de paraître excessif, eu égard à sa réputation. Si telle est bien la valeur de son art, comment expliquer qu'on ne s'en soit pas avisé plus tôt ? À cela, il existe pourtant une explication. Né en 1809, Préault fut de ces jeunes gens qui, vêtus de flamboyants gilets, faisaient la claque aux premières des drames de Victor Hugo. Romantique il était ; romantique il resta. Plus que Rude, encore pris dans les conventions, plus que Barye, à qui le Louvre a consacré une rétrospective (La Griffe et la dent) en 1996, il a incarné le romantisme en sculpture, à une époque où le romantisme se heurtait à la ferme opposition des artistes en place.
Entré en 1826 à l'école des Beaux-Arts dans l'atelier de David d'Angers, Préault n'obtint jamais de pouvoir concourir pour le prix de Rome. Il débuta au Salon en 1833. C'était l'époque où le jury, constitué par les membres de l'Académie des beaux-arts, refusait toutes les œuvres suspectes de romantisme, que ce fussent des tableaux d'histoire de Delacroix ou des paysages de Théodore Rousseau. En 1833, cependant, ses envois furent admis, mais les réactions de la critique ouvrirent les yeux du jury sur la nature de son art. L'année suivante, le même jury n'accepta, de cinq envois, que le seul plâtre de la Tuerie (aujourd'hui perdu ; le bronze est au musée de Chartres), non qu'il eût provoqué l'admiration de ses membres, mais peut-être, comme l'aurait avoué l'un d'eux, pour « effrayer le public sur les désordres de l'école nouvelle ». Il est vrai que ce bas-relief, constitué d'une accumulation de figures sans échelle commune et sans lien narratif entre elles, avait de quoi surprendre et dérouta, par le désordre apparent de la composition et par la sauvagerie des expressions, même les critiques les plus favorables au romantisme.
Par la[...]
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Écrit par
- Pierre VAISSE : professeur d'histoire de l'art à l'université de Genève
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