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RENOIR AUGUSTE (1841-1919)

Crise et plénitude finale : la volupté de peindre

Les toiles de cette époque laissent apparaître le partage entre cette volonté de rigueur et la spontanéité native. La Baigneuse blonde de 1882 (coll. G. Agnelli, Turin), variante d'un tableau peint à Naples, Les Enfants Bérard à Wargemont (National Galerie, Berlin), et La Natte de 1884 (coll. part., Baden) dénotent une certaine sécheresse par rapport aux paysages du Midi, de Guernesey ou de Normandie datant de la même époque. Renoir évoquera lui-même cette crise : « Vers 1883, il s'est fait comme une cassure dans mon œuvre. J'étais allé jusqu'au bout de l'impressionnisme et j'arrivais à cette constatation que je ne savais ni peindre ni dessiner. En un mot, j'étais dans une impasse. » La mort de Manet, en avril 1883, l'a aussi vivement atteint, comme tous ses amis peintres. Il ressent une sorte de nostalgie du métier des maîtres anciens, avivée encore par la lecture du Livre d'art de Cennino Cennini. Il se remet au dessin, utilisant le crayon dur et la plume, préparant d'une manière très serrée chaque tableau, limitant sa palette à quelques couleurs : ocre rouge, ocre jaune, terre verte, noir. Mais le dessin trop régulier des contours détache arbitrairement l'objet ou la figure de l'espace ambiant, et Pissarro peut écrire en 1887 : « Je comprends bien l'effort tenté ; c'est très bien de ne vouloir rester en place, mais il a voulu ne s'occuper que de la ligne, les figures se détachent les unes des autres sans tenir compte des accords, aussi c'est incompréhensible. Renoir n'ayant pas la faculté du dessin, et n'ayant plus les jolis tons instinctivement sentis d'autrefois, se trouve incohérent. » Les Grandes Baigneuses (Philadelphia Museum of Art), présentées cette année-là, montrent l'importance de la recherche poursuivie, sa réussite dans la pureté formelle et l'harmonie des tons, son échec dans le défaut d'intégration des figures à leur milieu, qui explique la froideur des œuvres de cette époque. Renoir comprend bientôt que, s'il ne peut laisser la forme se dissoudre dans la couleur, il ne peut non plus l'emprisonner dans un contour : il lui faut réaliser une fusion de ces éléments. De là cette technique de petites touches, lisses, effilées comme des laines, utilisée déjà pour unir les couleurs entre elles, mais plus souple encore, « nacrée », à quoi se substitue peu à peu la transparence des tons par superpositions très légères : « Un jour, je m'aperçois que Rubens avec un simple frottis avait obtenu davantage que moi avec toutes mes épaisseurs... » Renoir réalise ainsi cette unité entre le dessin et la couleur qu'il poursuivra jusqu'à la fin : « Je me bats avec mes figures jusqu'à ce qu'elles ne fassent plus qu'un avec le paysage qui leur sert de fond, et je veux qu'on sente qu'elles ne sont pas plates, ni mes arbres non plus. » Ce souci de liaison et d'unité est une des constantes de l'école française.

Auguste Renoir - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Auguste Renoir

Entre-temps, l'intérêt du public est venu. Toujours soutenu par Durand-Ruel, qui avait organisé une grande exposition de Renoir en 1892, le peintre peut travailler librement. Malgré les rhumatismes qui, à partir de 1898, commencent à ruiner son corps et le condamneront à la paralysie, il poursuit jour après jour son effort créateur, à Paris, à Essoyes – le pays de sa femme, en Bourgogne –, dans le Midi surtout, où il se retire à Cagnes, et où il mourra. Paysages, fruits, fleurs : il en transmet la vie dans la lumière. « Il fait chanter la couleur au moyen de procédés renouvelés de Fragonard et de Delacroix : préparation des masses dans le ton, et des passages dans le gris », écrit Maurice Denis. « Si son métier est plus souple que celui de Cézanne, c'est qu'il traduit quelque[...]

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<em>Portrait de Jeanne Samary</em>, A. Renoir - crédits : Sergio Anelli/ Electa/ Mondadori Portfolio/ Getty Images

Portrait de Jeanne Samary, A. Renoir

Pierre-Auguste Renoir, F. Bazille - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Pierre-Auguste Renoir, F. Bazille

Paul Durand-Ruel, A. Renoir - crédits : Archives Durand-Ruel/ Durand-Ruel & Cie

Paul Durand-Ruel, A. Renoir

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    ...Manet, auquel le lie la plus tendre des amitiés, a le même langage : « Qui nous rendra le simple et le clair ? Qui nous délivrera du tarabiscotage ? » Et Renoir s'accorde également avec lui lorsqu'il assure : « Un tableau doit être une chose aimable, joyeuse et jolie, oui jolie. Il y a assez de choses embêtantes...
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