COCHIN AUGUSTIN (1876-1916)
Après de solides études en lettres et en philosophie, et un brillant passage à l'École des chartes (il y entre et en sort premier), Augustin Cochin s'est, de bonne heure, intéressé à un événement fondateur — la Révolution française — que le legs d'une culture familiale, chrétienne et nationale a conduit à examiner d'une façon originale. Tandis que l'histoire de défense républicaine, dominée par Alphonse Aulard, écartait les histoires locales et les témoignages privés (Mémoires et correspondances) pour s'en tenir aux actes officiels émanés de Paris, le jeune archiviste paléographe a fait porter sur la province et la société réelle une enquête qu'il a commencée en Bourgogne, poursuivie en Bretagne puis étendue à la France entière.
La Campagne électorale de 1789 en Bourgogne (1904) et l'ouvrage rédigé entre 1904 et 1908, mais publié en 1925, Les Sociétés de pensée et la Révolution en Bretagne visaient à répondre à une question que les explications par l'arbitraire royal, les abus des nobles, le mécontentement populaire et l'ambition bourgeoise ne réglaient pas : qu'est-ce qui a abattu l'Ancien Régime ? Entreprise dans les archives de quarante et un départements, la collation des Actes du Gouvernement révolutionnaire (août 1793-juillet 1794), dont la Grande Guerre retarda la publication, tendait à résoudre un autre problème auquel ni la thèse des « circonstances », ni celle du « complot », n'apportaient de solution satisfaisante : comment « l'immense équarrissage » de la France a-t-il été réalisé ?
À ces interrogations Taine avait répondu, dans ses Origines de la France contemporaine, par une psychologie du jacobinisme qui avait fait voir autrement le phénomène révolutionnaire, ce qu'on ne lui pardonna pas. Mais l'écrit le plus connu de Cochin, La Crise de l'histoire révolutionnaire. Taine et M. Aulard (1908), n'est pas une simple réfutation du Taine historien (1907) de ce dernier, il contient les éléments d'une « sociologie de la société démocratique » qui, selon son auteur, devait seule permettre de déchiffrer « l'énigme révolutionnaire ».
Taine, en effet, décrit bien mais n'explique pas le « fanatisme de la Raison », le « mysticisme du Peuple », le « despotisme de la Liberté ». Pour comprendre le sens de ces expressions, il faut dépasser les intentions des acteurs, les généreuses illusions de 1789 et remonter assez haut dans l'histoire des mœurs du xviiie siècle, jusqu'à cette époque où le clergé laïc des philosophes, réuni en d'égalitaires sociétés de pensée, a dessiné la figure idéale d'un ordre nouveau et tracé les plans d'une « cité des nuées ». Là, dans ces petites assemblées de causeurs, s'est socialement formé un esprit public et s'est théoriquement fondée une société. Là a commencé à fonctionner une machine à produire des abstractions. Une méthode intellectuelle a été arrêtée : elle consistera à proclamer des principes ; une organisation s'est trouvée esquissée : elle permettra de forcer les faits. Ainsi la magie des mots a effacé le réel, l'opinion des particuliers a cédé devant l'opinion sociale, le Peuple a pris la place du peuple et la volonté générale celle du prince — car dans cette « société de sociétés » il ne peut y avoir ni maître ni meneurs : on doit seulement se conformer à ce mystérieux souverain, la force collective.
En mettant en lumière l'antinomie révolutionnaire qui apparaît en 1789 avec « un peuple qui opprime le nombre, une liberté de principe qui détruit les libertés de fait, une philosophie qui tue pour des opinions, une justice qui tue sans jugement », et en montrant comment la machine sociale, avec son réseau de sociétés populaires, ses bureaux de surveillance,[...]
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Écrit par
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
Classification
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