AUGUSTINISME
Spiritualité et vision du monde
L'influence de la pensée augustinienne sur les diverses écoles de spiritualité est sans doute la plus importante. On sait que la méditation, durant quinze années et en dehors de tout contexte polémique, du mystère de la Trinité aboutit chez Augustin à la certitude d'un théocentrisme : c'est en tant que Dieu que le Christ attire la créature vers son créateur. Le mot célèbre des Confessions, « Car tu nous as créés pour toi et notre cœur est inquiet jusqu'à ce qu'il repose en toi », laissait deviner toutes les virtualités mystiques de cette spiritualité.
L'école de Saint-Victor, où l'on pratiquait la règle monastique de saint Augustin, a développé au xiie siècle une théologie de la perfection et de l'amour de Dieu qui est issue directement de la pensée d'Augustin. L'esprit le plus ouvert parmi ces théologiens, Richard de Saint-Victor († 1173), est un théoricien de l'expérience de Dieu. Comme Augustin l'avait fait pour tenter de cerner le mystère de la Trinité, il part de l'intelligence humaine pour comprendre l'amour de Dieu. Soucieux à l'extrême de l'ordre et de la beauté qui résident en Dieu et qui animent sa création, Richard entend expliquer le contenu de la révélation chrétienne et le justifier aux yeux de la raison. Certes, à elle seule la raison est impuissante à démontrer quoi que ce soit de Dieu, mais elle peut, avec l'aide de l'amour, atteindre à une certaine compréhension de l'Être divin. La charité doit lui être sans cesse et intimement liée, afin que la spéculation trinitaire, œuvre de la raison, puisse déboucher sur la contemplation mystique animée par l'amour. Cette école, prônant une mystique spéculative et une ascèse orientée vers la contemplation, fut peut-être la plus directement augustinienne, la plus fidèle à la spiritualité de l'évêque d'Hippone.
L' humanisme de la Renaissance, par plusieurs de ses tendances foncières, a contribué à ramener l'attention sur une spiritualité augustinienne que la scolastique semblait avoir rejetée : revanche de la spiritualité contre une théologie trop technique, a-t-on dit, avec quelque exagération. Mais il est certain qu'épris d'un humanisme qui se voulait profondément chrétien et d'une théologie qui, à travers l'Écriture, devait conduire l'homme à la rencontre du Christ, des hommes comme Lefèvre d'Étaples, Érasme se sont, tout naturellement, retournés vers les Pères et surtout vers Augustin : les recherches récentes ont montré avec quel soin Érasme a annoté, de sa main, le De doctrina christiana d'Augustin.
Reprenant à leur compte l'idéal des moines du xiie siècle, les humanistes ont été mus à la fois par « l'amour des lettres et le désir de Dieu ». C'est dans l'œuvre d'Augustin qu'ils ont, en grande partie, puisé leurs références à un type particulier de culture chrétienne et à une spiritualité qui reste cependant, au xvie siècle, trop détachée de la théologie. Non seulement ils se font les éditeurs attentifs et scrupuleux des Pères de l'Église, les exégètes de l'Écriture, mais ils admirent et soutiennent les réformateurs du clergé. L'humanisme est ainsi indissociable d'un programme de pré-réforme dans l'Église. C'est donc par un retour aux sources antiques de la spiritualité chrétienne, et par un retour au cœur, que Lefèvre d'Étaples développe une theologia vivificans, une philosophia Christi, caractérisée par une particulière dévotion au Christ, qui est d'abord imitation d'une personne rencontrée à travers l'Écriture, et par une soumission à la volonté providentielle de Dieu, « au bon plaisir de Dieu, fontaine vitale mais insondable dans le fond du cœur ». On comprend qu'ainsi précédé,[...]
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Écrit par
- Michel MESLIN : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, directeur de l'Institut de recherches pour l'étude des religions
- Jeannine QUILLET : agrégée de l'Université, docteur ès lettres, professeur et directeur du département de philosophie à l'université de Paris XII-Créteil
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