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AURÉLIA, Gérard de Nerval Fiche de lecture

Commencée en 1853 dans la clinique du docteur Émile Blanche, poursuivie au cours d'un voyage en Allemagne, puis au retour, dans le même lieu, interrompue par le suicide de Gérard de Nerval (1808-1855) dans la nuit du 25 au 26 janvier 1855, Aurélia garde, quant à sa structure, un caractère indécidable. En effet, les deux livraisons dans la Revue de Paris : la première partie, le 1er janvier 1855 ; la seconde, posthume, dans le numéro du 15 février 1855 (le texte sera publié en volume la même année), ne semblent pas rendre compte avec certitude de l'ordre que l'écrivain eût sans doute fini par imposer à cette œuvre, marquée par une paradoxale sûreté d'écriture.

Poème en prose inséparable de Sylvie, de Pandora et des sonnets des Chimères, Aurélia affirme le génie du seul romantique français engagé, comme Novalis et Hölderlin, dans la quête de l'unité perdue. Dans ce qu'il appelle « un roman-vision à la Jean Paul », Nerval, nouvel Orphée poursuit au royaume de l'ombre l'image d'une morte bien-aimée (la cantatrice Jenny Colon, l'Aurélie de Sylvie, puis Aurélia).

« L'univers est dans la nuit ! »

Le récit noue images d'horreur et de tendresse au « hasard objectif » fait de rencontres, de signes et de rêves prémonitoires. La mort d'Aurélia représente à ce titre un tournant décisif, qui confirme « l'épanchement du songe dans la vie réelle ». Théâtre de cette Vita nuova, le Paris familier de Gérard (Paris bohème, amical, érudit et chrétien) apparaît pourtant également à plusieurs reprises dans sa réalité policière et médicale. Échappant à tout critère romanesque, Aurélia épouse les rythmes d'un psychisme menacé, déploie de grandes visions, libère des cris de révolte, condense les crises de 1841 et 1851, évoque les hospitalisations en leur alternance de violence et de paix. Ici, le rêve n'est plus ni évasion ni vie antérieure apaisante, comme dans le poème Fantaisie, pas plus qu'il ne se réduit à la seule production d'angoisse. Il coïncide avec l'intime inconnu, aventurant l'écriture au-delà du dicible.

« Le soleil noir de la Mélancolie » a dédoublé puis morcelé le moi, démultiplié l'image de la femme aimée, livré une conscience devenue christique au désespoir d'un monde sans Père : « Dieu est mort ! le ciel est vide.../ Pleurez ! enfants, vous n'avez plus de père ! ». Aux mots de Jean Paul Richter, placés en exergue du Christ aux oliviers, Aurélia fait écho, par une immersion dans un univers alternant ténèbres et éblouissements, où miroite une mosaïque de croyances, de connaissances ésotériques et de traces du voyage en Orient. Dans cette errance, la nuit que parcourt Nerval s'annonce comme une image inversée du « Paradis » de Dante, où la lumière venue d'ailleurs paraît promettre un sens mais en élude la révélation à mesure que les visions se font plus hermétiques.

« Le monde des esprits » ne serait-il donc que la fresque d'une identité définitivement perdue ; les projections, sur les parois d'une intériorité devenue poreuse, d'un amour deux fois refusé, par le rejet puis par la mort ? La vie changée en songe livre ici le sujet aux états les plus menacés. Une prolifération d'images efface la frontière entre le rêveur et l'objet aimé et perdu. Tantôt hanté par son double, tantôt confondu avec l'ombre d'Aurélia, tantôt fasciné par l'androgynie (sous les traits de l'Ange de la Mélancolie de Dürer), aux prises avec l'éclatement des signes et leur démultiplication, Nerval connaît la fascination d'un savoir infini, sceau de l'impuissance à être Un. La prolifération des mythes réduit dangereusement l'espace du pour soi. En leur beauté nostalgique, proche de Sylvie, ou leur violence d'apocalypse,[...]

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  • NERVAL GÉRARD DE (1808-1855)

    • Écrit par
    • 2 628 mots
    Dans Aurélia, un récit en prose rédigé pour la plus grande partie chez le Dr Blanche, Gérard de Nerval retrace l'histoire de sa vie intérieure depuis la rupture avec Jenny, rupture entraînée par une faute dont il entend porter seul la responsabilité. Ses rêves délirants, analysés ou transposés, y prennent...