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AURÉLIA, Gérard de Nerval Fiche de lecture

Aurélia, Eurydice, Isis

La quête d'Aurélia confirme le songe vain d'une heure unique et éternelle, celle que semblait promettre le poème Artémis : « La Treizième revient... C'est encore la première ». Retrouvée et perdue, Aurélia livre d'abord le narrateur à l'avers de ce rêve : le perpetuum mobile du désespoir et de la culpabilité. Mais cet échec même finit par se révéler vocation et suffisance : la quête a pour étoile son statut d'impossible. Annoncé par la voix d'Aurélia, le retour du symbolique jugule la menace de destruction du moi créateur et permet à la quête de se situer au-delà du « chemin », dans la plénitude du hors sens : dans l'inconnu à l'état pur. Non dans « le monde des esprits », que le poète cherchait vainement à relier au « monde réel » et à décrypter, mais dans l'espace littéraire découvert par « la surénergie de la folie » (Béatrice Didier).

L'orientalisation de l'image de l'aimée, liée au thème ambivalent de la Marche à l'étoile (dont Breton se souviendra dans Nadja), arrache le rêveur à la hantise de l'irrémédiable. Le rayonnement absorbe la culpabilité – obstacle à cette grâce dont l'amour absolu restait, dans Les Filles du feu, une promesse non tenue. Le sentiment chrétien douloureux, omniprésent dans la Première partie du livre, grandit et se transcende dans les songes de Gérard, jusqu'à imposer, bien au-delà de la crise existentielle liée au refus d'amour de l'actrice Jenny Colon puis à sa mort, en 1842, (perte aiguisée, en 1854, par celle d'une amie très aimée, Mme Arsène Houssaye), une image idéale, proche de l'éternel féminin de Goethe. Dans la Seconde partie, l'inaccessible Aurélia, changée en idole gigantesque et indifférente, devient Déesse-Mère, suprême médiatrice et accomplissement du syncrétisme nervalien : « Je suis la même que Marie, la même que ta mère, la même que sous toutes les formes tu as toujours aimée. » Proie de visions terrifiantes mais guidé par la clarté du délire, Gérard s'en remet à cette image divinisée de l'amour : « Je reportai ma pensée à l'éternelle Isis, la mère et l'épouse sacrée ; toutes mes aspirations, toutes mes prières se confondaient dans ce nom magique, je me sentais revivre en elle, et parfois elle m'apparaissait sous la figure de la Vénus antique, parfois aussi sous les traits de la Vierge des chrétiens. »

Le lien retrouvé avec l'ordre cosmique annonçait une telle cristallisation. Malgré les déchirements d'un Voyage rien moins que linéaire, l'abandon fait place, dans la Seconde partie, à un panthéisme apaisé. Après avoir subi la rupture de « l'harmonie de l'univers magique », amplifiant dans Aurélia l'intuition des Vers dorés (les Chimères), le « banni de liesse » prend, par la toute-puissance du rêve, sa place dans le « réseau transparent qui couvre le monde, et dont les fils déliés se communiquent de proche en proche aux planètes et aux étoiles. » « Tout vit, tout agit, tout se correspond ; les rayons magnétiques émanés de moi-même ou des autres traversent sans obstacle la chaîne infinie des choses créées », écrit Nerval, annonçant les « Correspondances » baudelairiennes. De ce supernaturalisme, nommé dans la préface des Filles du feu, célébré dans Aurélia, se réclameront plus tard le Manifeste du surréalisme et l'Antonin Artaud des Lettres de Rodez : « C'est à force d'être moi que j'ai dépassé la mort ».

— Marie-Françoise VIEUILLE

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  • NERVAL GÉRARD DE (1808-1855)

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    • 2 628 mots
    Dans Aurélia, un récit en prose rédigé pour la plus grande partie chez le Dr Blanche, Gérard de Nerval retrace l'histoire de sa vie intérieure depuis la rupture avec Jenny, rupture entraînée par une faute dont il entend porter seul la responsabilité. Ses rêves délirants, analysés ou transposés, y prennent...