AURÉLIEN, Louis Aragon Fiche de lecture
Aurélien est sans doute une des œuvres où Aragon a mis le plus de lui-même. Rédigée durant les années d'Occupation et de Résistance, à un moment où Elsa Triolet songeait à le quitter, c'est aussi l'une des plus amères et des plus désenchantées. Le roman prend place dans le cycle du Monde réel, inauguré en 1933 par Les Cloches de Bâle qui marquait la rupture d'Aragon avec le surréalisme. Il reprend la trame narrative arrêtée dans Les Voyageurs de l'impériale (1942) à la veille de la Grande Guerre et, surtout, grâce à la technique balzacienne du retour des personnages, transforme en cycle des histoires jusqu'alors cloisonnées. Grand roman d'amour, Aurélien, publié à Paris en 1944, se distingue certes des récits qui l'ont précédé par sa dimension psychologique ; mais, tout comme eux, il constitue une chronique et obéit au même dessein de réalisme : « Le roman est une machine inventée par l'homme pour l'appréhension du réel dans sa complexité. »
Un roman d'amour sur fond d'après guerre
Aurélien Leurtillois est un ancien combattant de la classe 11 qui a achevé sa guerre dans l'armée d'Orient. Jamais vraiment remis des années passées au front, il mène dans le Paris des années 1920 l'existence oisive d'un jeune rentier célibataire et séducteur : garçonnière dans l'île Saint-Louis, nuits blanches au Lulli's Bar, soirées mondaines et liaisons sans lendemain. Spectateur désengagé de sa propre vie, il attend sans conviction de découvrir enfin l'objet d'une passion.
Cet objet sera Bérénice, jeune épouse d'un pharmacien de province, venue passer quelques jours dans la capitale chez sa cousine Blanchette, fille du magnat des taxis Quesnel et femme d'Edmond Barbentane, ami d'Aurélien dont l'ascension sociale a été narrée dans Les Beaux Quartiers (1936). Leur rencontre est le contraire même du coup de foudre : « La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut ; enfin. » Un processus de cristallisation est néanmoins à l'œuvre qui fait en quelques jours d'Aurélien, homme à femmes blasé, un être bouleversé par la force d'une passion inédite.
Est-ce un amour partagé ? Bérénice recherche la compagnie d'Aurélien mais, trop éprise d'absolu, ne répond jamais à ses avances. Un soir pourtant, elle se rend chez lui, mais il est absent. Au petit matin, il revient du Lulli's Bar. Elle comprend qu'il a passé la nuit avec une autre femme et s'enfuit. Aurélien la retrouve sans le vouloir alors qu'elle se cache près de Giverny avec un amant de hasard, Paul Denis, qu'elle quitte bientôt pour regagner sa province. Bérénice disparue, tout s'écroule. Paul Denis est tué dans une rixe ; Blanchette divorce d'avec Edmond Barbentane qui fait faillite et entraîne Aurélien dans sa ruine. Privé de ressources, celui-ci se résout à travailler dans l'usine de son beau-frère et abandonne sa vie de bohème.
Un épilogue vient clore cette histoire. Dix-huit ans plus tard, au début de la Seconde Guerre mondiale, Aurélien, de nouveau officier, se replie dans un village qui n'est autre que celui de Bérénice. Là, il retrouve d'abord le mari de celle-ci qui lui confie : « Vous avez été toute sa vie », puis Bérénice, à qui il avoue : « Vous avez été ce qu'il y a de meilleur, de plus profond dans ma vie. » Peu après, dans la voiture qui les emmène, une rafale de mitraillette allemande atteint mortellement Bérénice.
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
Classification
Média
Autres références
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ARAGON LOUIS (1897-1982)
- Écrit par Daniel BOUGNOUX
- 4 153 mots
- 1 média
Parallèlement, Aragon trouve le temps de rédiger la longue rêverie sentimentale d’Aurélien, l'un des sommets romanesques de cette œuvre, et, peut-être, de notre langue, même si sa parution n'est pas bien accueillie à la fin de 1944 par les camarades de combat d'Aragon. Tout ce qui fait aujourd'hui...