AUTO-ORGANISATION
Auto-organisation intentionnelle
Le rôle de l'interprétation
Mais nous devons faire maintenant une autre distinction, car pour décrire ces propriétés émergentes, à la fois structurales et fonctionnelles, on ne peut pas éviter de tenir compte de l'existence et du point de vue de l'observateur (non pas avec le sens d'une subjectivité, mais, de façon habituelle en physique, avec le sens de conditions objectives d'observation et de mesure). Considérer un réseau comme ayant acquis – par auto-organisation – la signification d'une machine à reconnaître des formes est une interprétation par l'observateur. Plus précisément, c'est une projection de nos propres expériences cognitives de reconnaissance de formes – soit directement soit par le moyen de nos machines conçues pour cela – sur le comportement observé dans le réseau. Par conséquent, même dans le cas de systèmes auto-organisateurs au sens fort, censés simuler des systèmes naturels mécaniques non produits par l'homme – tels que des plantes ou des animaux –, nous restons avec une dernière question sur le rôle de l'observation et de l'interprétation qui produisent la signification.
De ce point de vue, les systèmes humains, tant individuels que sociaux, sont dans une situation intermédiaire entre des systèmes naturels dont l'origine des significations est interne, et ne peut être observée que de l'extérieur par projection interprétative, et des machines artificielles dont la finalité, c'est-à-dire l'origine des significations, est connue, en ce qu'elle est planifiée et observée directement par les hommes eux-mêmes. Les systèmes humains sont donc à la fois des machines et des concepteurs-observateurs de ces machines.
Ainsi, nous sommes amenés à considérer les systèmes humains comme occupant une place particulière en ce que, du fait de leurs conditions d'observateurs-observés, on doit nécessairement y prendre au sérieux la question de l'intentionnalité, alors qu'on pourrait la considérer comme illusoire ou épiphénoménale dans le cas d'autres systèmes mécaniques.
Observons d'abord que cela ne présume en rien que nous devions accepter la réalité du libre arbitre et ne pas supposer l'existence de déterminations causales pour les intentions elles-mêmes. Seulement, l'intentionnalité créatrice de projet est reconnue comme une sorte de causalité efficiente particulière et, comme telle, un objet spécifique des sciences de l'homme. La question du libre arbitre est mise de côté jusqu'à ce que nous connaissions en détail comment les intentions spécifiques sont déterminées causalement – si cela est possible un jour, et si la sous-détermination des théories par les faits ne constitue pas une limitation irréductible de cette connaissance.
Transformation d'une séquence causale en procédure
Dans cette recherche de mécanismes physiques d'intentionnalité, il est donc possible d'aller plus loin. À partir de modèles d'auto-organisation au sens fort, rien n'empêche en effet de concevoir que la capacité de faire des projets, et d'avoir des comportements intentionnels déterminés par ces projets, puisse être comprise elle aussi dans son principe général et modélisée comme résultat d'un mécanisme d'auto-organisation – au sens fort et intentionnel donc, c'est-à-dire humain – dans le fonctionnement de réseaux de neurones. Cette conception est tout à fait cohérente avec le fait que nous pouvons observer certains types de comportements apparemment intentionnels, même limités, produits par des réseaux de neurones différents des nôtres, en l'occurrence des cerveaux d'autres animaux semblables aux nôtres, tels que ceux de mammifères évolués. En effet, il semble bien que certains singes ayant effectué une première fois des gestes[...]
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Écrit par
- Henri ATLAN : professeur émérite de biophysique aux universités de Paris-VI-Pierre-et-Marie-Curie et de Jérusalem, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris, directeur du Centre de recherches en biologie humaine, hôpital Hadassah, Jérusalem (Israël)
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