AUTO SACRAMENTAL
Règne de l'allégorie
Cette symbiose du théâtre sacré et du théâtre profane a valu au genre eucharistique un grand éclat littéraire et des moyens techniques inespérés pour des spectacles de plein air. À des dramaturges qui étaient presque tous des prêtres, la « quadruple interprétation » traditionnelle de l'Écriture offrait maintes « figures » toutes faites pour représenter le don divin de l'eucharistie : les « pains de proposition » de la loi de Moïse, la manne, nourriture céleste des Hébreux dans le désert, autant d'applications de l'histoire sainte à l'hostie que les sermons avaient rendues familières. Restait à leur donner vie dramatique et lyrique. Les moralités allégoriques, dont la tradition était déjà ancienne, pouvaient facilement devenir « sacramentelles » au dénouement. Lope de Vega, dans un de ses autos de jeunesse, Le Voyage de l'Âme, reprend un vieux thème avec son symbole connu, le navire. Quand, à la fin, l'Âme s'embarque sur la nef de pénitence avec le Christ, elle sait que celui-ci est non seulement « guide » mais « pain vivant » pour la traversée. Les poètes apprennent à manier un monde d'abstraction dont le catéchisme enseignait les noms et qu'ils vont pouvoir personnifier : les vertus, les vices, les ennemis de l'âme (diable, monde et chair), les puissances de l'âme ou facultés (raison, entendement, mémoire, volonté). Même les entités résumant le monde matériel (les quatre éléments : terre, eau, air et feu, les quatre saisons) pouvaient devenir personnages du drame.
Volonté, puissance capricieuse, était un rôle pour le gracioso ou bouffon de la troupe. L'Âme était une dama. De même que les comédies profanes étaient bâties pour donner des emplois aux acteurs et actrices dont l'imprésario disposait, l'art de l'auto tablait sur des assimilations obligées entre des emplois stéréotypés (barbons, dames et galants, valets comiques) et les figures sacrées ou allégoriques. Celles-ci formaient, comme ceux-là, des couples accordés ou des paires antagonistes. Les caractères s'apparentaient d'un domaine à l'autre, les costumes étaient les mêmes. Aussi la tentation fut-elle grande, pour des auteurs voués à renouveler un sujet imposé, de « convertir au sacré » une comédie à succès. Le courant millénaire de l'interprétation allégorique y portait, et l'habitude de composer des chansons dévotes sur des airs à la mode.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Marcel BATAILLON : ancien élève de l'École normale supérieure, membre de l'Institut, administrateur honoraire du Collège de France
Classification
Média
Autres références
-
CALDERÓN DE LA BARCA PEDRO (1600-1681)
- Écrit par Charles Vincent AUBRUN
- 2 453 mots
- 1 média
Les autos sacramentales sont, sous la plume de Calderón, des pièces allégoriques de plus de mille vers, que l'on représentait le jour de la Fête-Dieu dans les rues des villes et des villages et dont le dénouement implique l'intervention divine matérialisée par l'Eucharistie. Le poète part de n'importe... -
COMEDIA, Espagne
- Écrit par Charles Vincent AUBRUN
- 2 605 mots
...il demeure fidèle plus que jamais au spectacle édifiant, donné chaque année dans les rues, sur des chars, pour la Fête-Dieu, que l'on désigne du nom d' auto sacramental : c'est un mystère allégorique qui se propose de montrer que, en tous lieux et en tous temps, est latent dans la moindre invention des... -
ENCINA JUAN DEL (1469-1529)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 443 mots
Poète, compositeur et auteur dramatique, Juan del Encina est le premier dramaturge important dans l'histoire du théâtre espagnol, dont il est souvent appelé le patriarche. Il fait ses études à Salamanque, où il remplira par la suite la charge du maître de chapelle de la cathédrale. En 1492, il...
-
GARCÍA VICTOR (1934-1982)
- Écrit par Colette GODARD
- 800 mots
Victor García était argentin, mais contrairement à ses compatriotes du groupe TSE et à Jorge Lavelli, il n'était pas un enfant des villes. Né à Tucumán, il est élevé dans une ferme isolée, à deux mille kilomètres de Buenos Aires. Sa vie et son œuvre sont marquées par une sorte de sauvagerie...
- Afficher les 9 références