Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

AUTO SACRAMENTAL

Apogée. Calderón

Pedro Calderón de la Barca - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Pedro Calderón de la Barca

Avec Pedro Calderón de la Barca, la dramaturgie espagnole, sans s'astreindre aux sacro-saintes « unités », atteint à une perfection qui est surtout maîtrise dans l'agencement des intrigues comiques ou tragiques. De plus en plus il émerveillera ses contemporains par cet art de « proposer, objecter et résoudre » que le père Castroverde assimile à un « parfait syllogisme » dans son approbation du recueil d'Autos sacramentales caldéroniens (1677). En son théâtre allégorique sacré, Calderón a pour lui, avec son sens de la grandeur, la sûreté de sa philosophie et de sa théologie thomistes. Cette rigueur nouvelle ne paralyse pas, au contraire, l'invention de ses autos, plus que jamais actions, spectacles. L. P. Thomas a su montrer comment la correspondance entre « les jeux de scène et l'architecture des concepts » y résulte d'un art subtil. Quant à l'invention même des actions, Calderón s'est plaint du rôle ingrat qui lui incombait depuis quarante ans d'illustrer chaque année par des autos nouveaux un thème religieux unique en se servant de personnifications théologico-morales préexistantes. Mais il a réussi ce tour de force. Il a enrichi la matière exploitée par ses devanciers : métaphores de la vie humaine, Bible allégorisée, intrigues profanes transposées a lo divino, en y annexant la mythologie gréco-latine.

Le Grand Théâtre du monde identifie la vie des hommes sur la terre – rois ou mendiants – à un rôle que leur confie, de la naissance à la mort, le Souverain Auteur (comparaison dont Sancho avait pu dire à Don Quichotte qu'elle servait dans les sermons ; sa tradition remontait, à travers les Pères, à Épictète ou plus haut). Calderón lui donne une consistance dramatique, encore assez réaliste, soutenue par une conception thomiste de la société, mais aussi par une philosophie du temporel et de l'éternel qui se concentre dans l'image réversible du tombeau-berceau. À la table eucharistique se coudoient tous les acteurs. Si Le Festin de Balthasar est un beau sujet pour le « Corpus », ce n'est pas seulement à cause du coup de théâtre que fait éclater le « Mane, thecel, pharès », préparant le banquet chrétien du tableau final, c'est par tout un symbolisme. Balthasar (son nom veut dire « trésor caché ») devient une métaphore de l'âme humaine. C'est toujours la vie surnaturelle qui est en jeu. Que le poète prenne pour cadre de la lutte entre la perdition et le salut une image médicale (Le Poison et la thériaque) ou une fable de L'Odyssée (les compagnons d'Ulysse changés en animaux par Circé dans Les Enchantements de la faute), le drame métaphysique est le même. On sait que Calderón dans sa comédie La vie est un songeillustrait déjà avec des créatures de chair et d'os la théologie thomiste du libre arbitre. Les astres influent, « inclinent », mais ne déterminent pas. Le prince Sigismond, que son père a fait élever dans une caverne, persuadé par son horoscope qu'il ne doit régner à aucun prix, pourra retrouver sa condition princière, puis retomber du palais au cachot en châtiment de sa superbe et de sa violence, avant de se découvrir responsable de son destin et de l'assumer. Calderón, de la plus fameuse de ses comedias, a tiré successivement deux autos. Le second est le plus grandiose du genre. Sigismond y devient l'« homme » selon l'anthropologie chrétienne, passant de l'état paradisiaque à la chute puis à la rédemption. Le va-et-vient de l'action profane entre obscurité et lumière est ici passage de la prison du non-être à la brillante création dont l'homme est roi, de l'ombre du péché originel à l'illumination de l'amour sauveur, au flambeau de la grâce.

Calderón, pourvoyeur des spectacles du palais royal du Buen Retiro, où la cour[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, membre de l'Institut, administrateur honoraire du Collège de France

Classification

Média

Pedro Calderón de la Barca - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Pedro Calderón de la Barca

Autres références

  • CALDERÓN DE LA BARCA PEDRO (1600-1681)

    • Écrit par
    • 2 453 mots
    • 1 média
    Les autos sacramentales sont, sous la plume de Calderón, des pièces allégoriques de plus de mille vers, que l'on représentait le jour de la Fête-Dieu dans les rues des villes et des villages et dont le dénouement implique l'intervention divine matérialisée par l'Eucharistie. Le poète part de n'importe...
  • COMEDIA, Espagne

    • Écrit par
    • 2 605 mots
    ...il demeure fidèle plus que jamais au spectacle édifiant, donné chaque année dans les rues, sur des chars, pour la Fête-Dieu, que l'on désigne du nom d' auto sacramental : c'est un mystère allégorique qui se propose de montrer que, en tous lieux et en tous temps, est latent dans la moindre invention des...
  • ENCINA JUAN DEL (1469-1529)

    • Écrit par
    • 443 mots

    Poète, compositeur et auteur dramatique, Juan del Encina est le premier dramaturge important dans l'histoire du théâtre espagnol, dont il est souvent appelé le patriarche. Il fait ses études à Salamanque, où il remplira par la suite la charge du maître de chapelle de la cathédrale. En 1492, il...

  • GARCÍA VICTOR (1934-1982)

    • Écrit par
    • 800 mots

    Victor García était argentin, mais contrairement à ses compatriotes du groupe TSE et à Jorge Lavelli, il n'était pas un enfant des villes. Né à Tucumán, il est élevé dans une ferme isolée, à deux mille kilomètres de Buenos Aires. Sa vie et son œuvre sont marquées par une sorte de sauvagerie...

  • Afficher les 9 références