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AUTOBIOGRAPHIE

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L'idée même que quelqu'un, racontant sa vie, fasse quelque chose d'important, quelque chose même qui puisse être fait, s'impose comme une évidence qui semble interdire le moindre questionnement. Une sorte de violence, comme venue du sujet lui-même, du sujet enfin devenu lui-même, est là pour nous en imposer. L'égard dû à la personne humaine, ou à l'être réputé unique de la génétique, ou à l'individu que préservent les droits de l'homme, dispose autour de l'autobiographe un halo protecteur. On est bientôt pris au piège de son énonciation : la preuve que l'autobiographe dit vrai, c'est qu'il le dit. « Je crois, assure Philippe Lejeune, qu'on peut s'engager à dire la vérité » (Moi aussi). Mais Valéry : « En littérature, le vrai n'est pas concevable », ou encore : « Qui se confesse ment et fuit le véritable vrai, lequel est informe, et, en général, indistinct » (Tel quel). Déporter l'autobiographie hors du corpus littéraire, dans la positivité du document, ne suffirait pas encore, on le verra, à la mettre à l'abri de toute suspicion. À supposer que l'expérience et le vécu se donnent en transparence dans le langage, le langage n'existerait pas, qui est expérience à lui seul.

Une rhétorique du moi

« Celui qui ne donne de la réalité que ce qui peut en être vécu ne reproduit pas la réalité » (Bertolt Brecht, Sur le cinéma). Si l'autobiographie en position classique ne doute pas de ce moi, qu'elle prend pour origine alors qu'il n'est peut-être que son produit, c'est parce que cette forme perverse du « discours vrai » (Foucault) est d'abord un personnalisme. Naturel, sincérité, intimité, singularité, situation, vocation, telles sont les valeurs qui la suscitent et l'organisent, tant comme expérience que comme énoncé : « recherche jusqu'à la mort d'une unité pressentie, désirée, et jamais réalisée » (Emmanuel Mounier, Le Personnalisme, 1955). À l'orée de toute autobiographie selon la tradition, il y aura l'assurance d'un je m'exprime qui tire sa force persuasive de l' identité inchangée de ce qui est au départ, ce sujet, et de ce qu'il en advient, ce moi écrit. Le déjà-vécu pèse de tout son poids sur cette graphie à laquelle il semble interdire toute autre fonction que d'enregistrement. L'autobiographe ne fait alors que porter à son extrême conséquence ce « principe de l'auteur » dont Foucault disait qu'il limite le hasard du discours « par le jeu d'une identité qui a la forme de l'individualité et du moi » (L'Ordre du discours). Se mettre en position d'autobiographe serait accepter d'avance le principe d'une coïncidence entre celui qui tient la plume et celui qui, vivant, ne la tenait pas. Coïncidence qui signale tout autant un clivage : vivre/écrire, à moins que l'on ne transfère tout entier le vivre dans le moment de l' écriture (autographie). Dans son principe, dans sa naïveté, l'autobiographie ordinaire récuserait donc toute différence entre les trois termes, peut-être inconciliables, qu'elle réunit pourtant : auto, c'est moi de toute manière ; bio, c'est ma vie quoi qu'il advienne ; graphie, c'est toujours moi, c'est ma main. N'est-ce pas pourtant ce conglomérat chimérique d'instances elles-mêmes problématiques inscrit dans le terme même d'autobiographie qui fait problème ? Cette pseudo-égalité n'offusque-t-elle pas quelque chose qui échappe toujours au total : un masque, un manque, un surplus, une différence ? Tout simplement : une écriture ?

Autobiographie et vérité

Jean-Jacques Rousseau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Jean-Jacques Rousseau

Si l'on veut un fondateur, ce sera Rousseau, non parce qu'il a raconté tout (il en est loin), mais parce qu'il dit qu'il[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, écrivain

Classification

Médias

Jean-Jacques Rousseau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Jean-Jacques Rousseau

Henry James - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Henry James

Vladimir Nabokov - crédits : Walter Mori/ Mondadori Portfolio/ Getty Images

Vladimir Nabokov

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  • AFRIQUE DU SUD RÉPUBLIQUE D' ou AFRIQUE DU SUD

    • Écrit par , , , , , , et
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    • 28 médias
    ...) de Peter Abrahams (1946) où Xuma, l'homme de la brousse, découvre la ville, la mine et l'action syndicale. Pour les mêmes raisons, l' autobiographie tient ici une place importante (E. Mphahlele, Down Second Avenue, 1959 ; P. Abrahams, Tell Freedom, 1954 ; B. Modisane, Blame Me on...
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