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AUTOBIOGRAPHIE

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Le « pacte autobiographique »

Difficulté d'une définition

Peut-on définir l'autobiographie ? Aucun critère purement linguistique ne semble pertinent. Rien ne distingue a priori autobiographie et roman à la première personne. Le je n'a de référence actuelle qu'à l'intérieur du discours : il renvoie à l'énonciateur, que celui-ci soit fictif ou réel (attesté par l'état civil). Le je n'est d'ailleurs nullement la marque exclusive de l'autobiographie : le tu (Autobiographie de Federico Sánchez, Jorge Semprun, 1978) aussi bien que le il (certains passages de Nous de Claude Roy, 1972 ; Frêle Bruit de Michel Leiris, 1976 ; Roland Barthes par Roland Barthes, 1975) sont des figures d'énonciation que l'autobiographe utilise pour insister, par des effets de distanciation, sur la fiction du sujet, ou pour mettre en situation le discours de l'autre dans celui du sujet (Rousseau juge de Jean-Jacques, commencé en 1772).

Recourir à une définition du type « récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité » (P. Lejeune, Le Pacte autobiographique), serait désigner moins une entreprise qu'un genre, avec le risque de se couper des genres voisins : mémoires, biographie, journal intime, autoportrait, essai. À moins de se livrer à une perpétuelle rectification : les écrits autobiographiques de Simone de Beauvoir ne sont pas exclusivement le récit d'une vie individuelle, les Mémoires d'outre-tombe ne sont pas toujours rétrospectifs, les écrits autobiographiques de Leiris ou d'Adamov ne sont pas des récits, le montage de son journal que procure Claude Mauriac dans Le Temps immobile (1974 sqq.) n'est pas un récit mais il est rétrospectif, Une vie ordinaire de Georges Perros (1967) est une autobiographie en vers, Les Mots de Sartre ne sont pas le récit d'une existence, etc.

Il conviendrait donc de s'en tenir à la garantie formelle de l'identité de l'auteur, du narrateur et du personnage, attestée par la signature, le nom ou le pseudonyme. On appellera « pacte autobiographique » l'affirmation dans le texte, voire dans ses marges (sous-titre, préface, interviews) de cette identité, quelle que soit l'opinion que le lecteur puisse avoir sur la vérité ou la réalité des énoncés : « Le lecteur pourra chicaner sur la ressemblance, mais jamais sur l'identité » (P. Lejeune, Le Pacte autobiographique). Par l'intervention du nom propre, l'autobiographie affirmerait sa nature essentiellement référentielle et contractuelle, et imposerait un mode de lecture distinct de celui qu'impose le « pacte romanesque », ou « fantasmatique ».

Cette définition de caractère juridique présente l'avantage de permettre la constitution d'un corpus restreint. Reste qu'elle ne peut aller jusqu'à interdire au lecteur de substituer un pacte à un autre, de casser le contrat. Précédée d'un je dis que, l'énonciation vacille. Quelle sera alors son origine, son point d'ancrage ? Loin de se fonder sur l'identité auteur/narrateur/personnage, l'autobiographie ne prend-elle pas plutôt pour origine l'impossibilité même de cette identité, le fading de ces instances ? Peut-on enfin confondre la signature et le signataire ? La signature est-elle une garantie du texte si elle n'est elle-même qu'un effet du texte ?

Corpus

Selon qu'on ouvre ou qu'on ferme la définition, du « pacte autobiographique » au « champ autobiographique », le corpus sera plus ou moins restreint. Pour le corpus restreint, on renverra aux ouvrages de Philippe Lejeune et de Georges May. Dans le champ autobiographique, il conviendrait d'inscrire, en y reconnaissant des postures d'énonciations[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, écrivain

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Médias

Jean-Jacques Rousseau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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