AUTOBIOGRAPHIE
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La place du sujet autobiographique
L'autoportrait comme projet
Il semble qu'on puisse distinguer au sein de l'entreprise autobiographique un projet autoportraitiste, dont le trait essentiel serait le choix d'une syntaxe thématique et analogique au lieu du récit chronologique. C'est plutôt dans la fragmentation, l'addition, la relation métaphorique ou métonymique (« tracer des pistes joignant entre elles deux éléments », note Leiris) que l'autoportraitiste cherche à représenter cet irreprésentable, ce mobile, ce passage qu'il est, qu'il n'est pas. Même s'il commence par penser l'identité comme conformité à soi, l'autoportraitiste constate qu'il ne pourra jamais que consigner son hétérogénéité, dénombrer ses variances. Montaigne dans ses Essais comme Valéry dans ses Cahiers font de cette discontinuité des états le moteur d'une entreprise qui ne trouvera d'autre unité que dans le « rolle » qu'on en tient. C'est le moment de l'énonciation qui chaque fois emporte la figure alors même qu'il la déporte. Le texte est le seul espace stable pour figurer tout à la fois l'altérité et l'utopie d'une présence ininterrompue. « Le livre est le lieu unitaire où peut s'effectuer le rassemblement du divers » (J. Starobinski, Montaigne en mouvement).
L'autoportraitiste n'envisagera donc l'authenticité que comme stratégie ou comme mythe, lui qui ne se consacre qu'à l'expertise de ses alibis et du corpus textuels et culturels qui le constitue. Michel Beaujour (Miroirs d'encre) a montré d'une manière décisive comment l'autoportrait se réfère au modèle médiéval du speculum encyclopédique, se nourrit de lieux communs et de citations. Pavé dans la mare de la transparence autobiographique, l'autoportrait en désigne ainsi les strates et l'opacité.
Autobiographie et roman
Si l'on en croit Marthe Robert (Roman des origine et origines du roman, 1972), le faiseur de roman, tout attaché qu'il est à composer l'intrigue de son « roman familial », ne serait qu'un autobiographe plus fabulateur que les autres. Bâtard ou enfant trouvé, le romancier « classique » serait le bricoleur astucieux d'une interminable autofiction. En ce sens, il révèle la complicité – que l'autobiographe voudrait tant dissimuler, voire détruire (c'est l'horizon de transparence qui anime Sartre dans Les Mots) – de « la vie » et du « roman ». Mais ce clivage, s'il existe, ne passe ni par des marques formelles ni par des repérages tels que l'identité ou non du nom de l'auteur et du nom du personnage. Car le je problématique du « roman personnel » (Werther, René, Les Dernières Lettres de Jacopo Ortis de Foscolo) se perd dans l'altérité qu'il dénonce, les censures et les dénégations où il s'avoue, une temporalité et un dialoguisme qui lui ôtent toute assignation. Comme le note excellemment Georges Benrekassa, « René, Werther mettent à l'épreuve, alors qu'ils semblent le porter au pinacle, le sujet en majesté. En fait, ils paraissent révéler plus profondément, ou du moins tout à fait autrement que l'écriture autobiographique, le “sujet en travail” dans l'écriture, est le fondement même des mythes de la première personne » (« Le Dit du moi », in Les Sujets de l'écriture, 1981). Quant à la relation complexe des auteurs de ces « romans personnels » avec le héros du roman (c'est moi, ce n'est pas moi), elle est le signe d'un lien d'indétermination qui ne saurait être réglé par une pure décision du sujet. Dans Poésie et vérité, Goethe a souligné combien les rapports du je « biographique » et du je « fictif » ne sauraient être éclairés par l'appel à un critère de « vérité » : « Chacun[...]
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Écrit par
- Daniel OSTER : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, écrivain
Classification
Médias
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