AUTOFICTION
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Avec le début des années 1980, on a assisté à l'étonnante aventure d'un néologisme dont on ne sait encore s'il correspond à un nouveau genre littéraire ou à un effet spécial d'affichage, aussi séduisant que trompeur. En 1977, le mot fut inventé par Serge Doubrovsky pour qualifier son livre intitulé Fils, roman, glosé à l'intérieur du texte romanesque qui en raconte l'invention, mais aussi le justifie et le théorise dans des essais critiques : la force spéciale de Doubrovsky tient dans sa double capacité de critique et de créateur, et dans l'investissement illimité de sa personne réelle dans l'écriture littéraire. Dans cette œuvre née de la pratique analytique, le moi empirique de l'écrivain vient coïncider avec le monde effectif du xxe siècle, par un miracle littéraire ou par un triomphe d'une paranoïa narcissique, dans les deux cas par les pouvoirs d'une écriture de la parole.
Aux sources d'un genre
On peut replacer l'émergence de l'autofiction telle que la montre Fils dans l'évolution de la figure de l'auteur au cours du xxe siècle écoulé. Au début du siècle, Paul Valéry avait donné la règle d'or de la lecture littéraire : « Ne jamais confondre le véritable homme qui a fait l'ouvrage avec l'homme que l'ouvrage fait supposer. » Il aurait pu ajouter : « Ne jamais confondre la personne réelle de l'auteur avec la figure que le romancier entend représenter ou induire. » Or cette règle était déjà transgressée victorieusement par André Gide qui, dans ses fictions, au nom de la sincérité ou de l'authenticité, imposait l'idée d'une adéquation entre une figure corporelle de l'auteur et un personnage de roman.
Le conflit entre Valéry et Gide, en fait celui du poète et du romancier, porte sur le genre romanesque, pour l'un mensonger et puéril, pour l'autre irremplaçable moyen de production des personnalités multiples de l'auteur. Les années 1920 vont imposer cette confusion, que condamnait Valéry, entre l'auteur et son héros romanesque : elle devient l'objectif principal du romancier. Les romans de Malraux, de Drieu La Rochelle, de Montherlant, de Giono réussissent à imposer dans l'esprit du lecteur un mythe personnel, volontiers héroïque, de l'auteur, en faisant prendre cet effet très spécial pour la vérité la plus irréfutable. Ces écrivains ont tout misé sur le roman, c'est-à-dire sur la fiction, pour suggérer une icône sacrée de leur vie véritable ; ils n'ont jamais (à la seule exception, ponctuelle, de Gide) recouru à l'autobiographie. Mais, en inclinant le lecteur à lire de manière autobiographique leurs créations de fiction, ils ont fait de la confusion interdite un effet de l'art : ne relèvent-ils pas alors de l'imposture, et non plus de la sincérité ?
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Écrit par
- Jacques LECARME : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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Médias
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