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AUTOFICTION

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Des précurseurs

Du récit autobiographique au roman - crédits : Encyclopædia Universalis France

Du récit autobiographique au roman

Que s'est-il donc passé pour que l'autofiction apparaisse désormais comme le genre en flèche et l'autobiographie comme un genre dépassé, même si l'idée d'une substitution d'une pratique à une autre, et donc d'un progrès, est hautement contestable, en fait et en droit ? D'abord, les historiens de la littérature se sont aperçus que, dès le début du siècle, des romanciers, qui se percevaient comme tels, pratiquaient à merveille l'autofiction, sans le savoir, en écrivant des fictions sous le régime de l'homonymat du narrateur et de l'auteur. Précurseurs ou inventeurs de cette pratique, Pierre Loti (Le Roman d'un enfant, 1980), Colette (La Naissance du jour, 1928), Céline (D'un château à l'autre, 1957 ; Nord, 1960 ; Rigodon, 1969), Paul Léautaud (Le Petit Ami, 1902), Paul Morand (Ouvert la nuit, 1922 ; Fermé la nuit, 1923). Devanciers de peu de Doubrovsky, Antoine Blondin (Monsieur Jadis, 1970), François-Régis Bastide (La Vie rêvée, 1962), Roland Barthes (Roland Barthes par Roland Barthes, 1975), Georges Perec (W, ou le Souvenir d'enfance, 1975). Ces livres, si hétéroclites qu'ils paraissent, se rejoignent dans l'acte d'assumer dans le texte le nom propre qui est celui de l'auteur dans le cadre civil et social. La désignation nominale peut être intégrale, partielle ou codée, mais elle ne se limite pas à une initiale ni ne se réduit à l'anonymat (ce qui exclut, à notre sens, Proust et l'avantage). Par ailleurs, les écrivains anglo-américains, loin de toute préoccupation théorique, développaient des fictions of facts, parfois appelées factions : l'énergie et la dynamique de l'autofiction se trouvaient déjà superlativement chez Norman Mailer, Philip Roth, Christopher Isherwood, Truman Capote... On s'est parfois autorisé de cette tendance pour dénier à Doubrovsky l'invention du terme, et l'attribuer à Jerzy Kozinski, l'auteur controversé de L'Oiseau bariolé (1966). Il n'en est rien, et on rendra à Doubrovsky la paternité du terme et du concept.

Dans Fiction et diction (1992), Gérard Genette semble avoir négligé une troisième voie qui correspondrait à l'autobiographie. Celle-ci ne peut être intégrée à la diction, puisque Genette y voit, en accord avec Goethe, une accentuation du signifiant qui la rapproche de la poésie. On pourrait appeler cette troisième voie (qui est aussi une voix) véridiction, sans préjuger de ses résultats, mais, pour décrire son intentionnalité, elle serait à la fois non-fiction et non-diction. On pourrait appeler effectivation ce refus de la fiction, qu'il est trop facile de tenir pour illusion naïve. Un récit d'Annie Ernaux s'intitule L'Événement (2000). Ce titre pourrait s'étendre à toute cette écriture véridictionnelle, qui s'attache aux traumatismes individuels ou collectifs.

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Serge Doubrovsky - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Serge Doubrovsky

Du récit autobiographique au roman - crédits : Encyclopædia Universalis France

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