AUTOMATISME, art et littérature
« Dans le monde organique, dans la mesure où se fait plus obscure ou plus faible la réflexion consciente, plus rayonnante et triomphante s'avance la grâce. » Cette affirmation de Kleist (Sur le théâtre de marionnettes, 1810) pourrait être tenue pour la charte originelle de l'automatisme. Certes, la notion de « fureur poétique » telle qu'elle apparaît déjà chez Platon (Ion) et qu'elle refait surface au xvie siècle, notamment chez les poètes de la Pléiade et Pontus de Tyard (Solitaire Premier, 1552), sans même épargner Montaigne, avait depuis longtemps mis l'accent sur la disjonction qui s'opère entre la « grâce » et la « réflexion consciente ». Mais la Naturphilosophie et le romantisme allemand sont mieux placés sans doute, au lendemain des victoires remportées par la philosophie des Lumières, pour apprécier cette part d'ombre qu'ignore et refoule la raison raisonnante et privilégier ces « états seconds » — pour Kleist, on le sait, ce sera le somnambulisme — à la faveur desquels se révèle cet automate qui est en nous et qui, pour peu qu'on le délivre, court à son salut ou à sa perte avec la plus absolue certitude. Cet automate, la vogue du spiritisme, dès le milieu du xixe siècle, allait se confirmer l'existence, non sans en travestir gravement la nature et l'origine : comme au temps des « possessions » médiévales, l'autre qui se manifeste dans la transe automatique, on prétend que les ficelles en sont tirées du dehors — non plus par le Malin cette fois, mais par les « esprits » ennuyés de la tombe. Les surréalistes auront beau jeu de rappeler que celui qu'on obtient au bout du fil, ce n'est pas un quelconque « désincarné » tout prêt à parler de n'importe quoi, mais soi-même — un soi-même il est vrai inversé comme nous en proposent les figures des jeux de cartes.
L'écriture automatique des spirites sera rendue par les surréalistes à sa véritable vocation poétique. Mieux encore : ceux-ci en feront le fondement théorique de leur démarche éthique et esthétique. Car ils n'ignorent pas que c'est avec l'inconscient que s'établit la communication automatique. La psychanalyse, d'ailleurs, le leur confirme, mais Freud et les siens n'attendent pas des messages de l'inconscient les mêmes révélations que les surréalistes : s'ils se penchent sur les ténèbres de la psyché, c'est pour mieux restaurer les citadelles de la raison. Alors que Breton et sa bande seraient plutôt tentés d'ouvrir toutes grandes les vannes du ça et de noyer irrémédiablement les trop quiètes cités du moi. Quoi qu'il en soit, dès 1919, Breton, Soupault, Péret, Desnos, Aragon, Eluard, Artaud, Vitrac jettent sur le tapis élimé de l'humanisme littéraire les scandaleux trésors arrachés aux abysses. Plus tard, ce sera le tour de Leiris, de Char, de Césaire, de Duits, de Duprey, d'autres encore. Quelques-uns, bien sûr, ne résistent pas à la tentation — contre laquelle, infatigablement, s'élèvera Breton — de capter les eaux souterraines au bénéfice du petit moulin de leur réputation littéraire. Or, la fin véritable de l'écriture automatique n'est pas d'envahir la vitrine des libraires, c'est d'exprimer « le fonctionnement réel de la pensée ». À cet exigeant critère n'a pas cessé de se mesurer toute la poésie qui s'est écrite depuis le Manifeste du surréalisme. Néanmoins, ne peut-on parler d'un « échec » de l'écriture automatique dans la mesure où celle-ci n'a pas, comme le rêvait Breton, complètement éliminé la littérature — à savoir tout ce qui s'écrit sans besoin profond de « changer la vie » ?
Si les spirites n'avaient produit qu'une fort désolante littérature, en revanche on leur devait nombre d'œuvres[...]
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Écrit par
- José PIERRE : directeur de recherche au C.N.R.S., docteur ès lettres
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Autres références
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LEGRAND GÉRARD (1927-1999)
- Écrit par Alain JOUFFROY
- 565 mots
Né en 1927 à Paris, mort le 3 décembre 1999, Gérard Legrand fut, de 1948 à la mort d'André Breton en 1966, l'un des acteurs du mouvement surréaliste, et non des moindres. Poète, essayiste et travailleur tenace, fidèle jusqu'au bout à Breton, auquel il ressemblait comme un fils, il lui...