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AUTOMOBILISME

Rarement, peut-être même jamais à ce point, un objet technique n'a été autant assimilé et apprivoisé que l'automobile, ni autant investi de passions et de mythes à titre individuel et collectif. Les raffinements multiples et variés de l'ergonomie des véhicules et les progrès techniques y sont certes pour beaucoup, l'auto n'a pas cessé en effet pendant un siècle de perdre sa dimension d'étrangeté machinique. Alors qu'entre 1890 et 1920 la conduite automobile pouvait paraître insolite et le passage de l'un de ces étranges véhicules perturbant voire effrayant, un conducteur contemporain bénéficie d'assistances multiples et les piétons sont si accoutumés au phénomène que, depuis longtemps, c'est plutôt l'absence d'autos qui étonne. Toutefois, dans l'acceptation massive de l'automobile, l'essentiel semble bien résider ailleurs.

Le consentement aux inévitables nuisances de la déesse à quatre roues a avant tout relevé d'un processus culturel et social. Résolument placée du côté des usages et des pratiques, voire de la sémiologie telle que Roland Barthes l'avait montré à propos de la DS sortie des usines Citroën (Mythologies, 1957), notre analyse propose d'aborder le phénomène automobile du point de vue de l'automobilisme, c'est-à-dire de déchiffrer l'épaisseur historique, politique et sociologique de ce grand système technique, devenu une pièce maîtresse du jeu de la mobilité humaine. Dans cette perspective, l'étude de l'automobilisme devient celle de l'un des modes de vie planétaire dominant – hégémonique même selon ses adversaires – et aussi de l'un des styles majeurs de l'homme contemporain, plein d'aspirations et de paradoxes : tantôt individualiste ou conformiste, tantôt industrieux ou hédoniste, mais toujours en quête d'une libération et d'un pouvoir qui peuvent paraître bien illusoires. De cette pluralité d'enjeux contradictoires naît justement la force de l'automobilisme.

Génératrice d'une véritable civilisation, l'automobile a refaçonné nos villes, notre habitat, nos paysages et tout une série de comportements sociaux et d'attitudes individuelles. Notre mémoire collective est pleine de ces icônes à quatre roues élitistes ou populaires, d'une foule de hauts lieux créés pour leur célébration, nouveaux temples de l'âge industriel : circuits de course, salons internationaux, magasins concessionnaires, garages et stations-service. Ainsi, les ressorts de la passion automobile ont été tendus très tôt et le goût des extases routières a été instillé de façon indélébile dans les esprits.

Aux origines de l'automobilisme

Malgré les apparences de néologisme que revêt le mot automobilisme, son emploi témoigne en réalité d'un retour aux sources. Loin de n'offrir qu'un suffixe en « -isme » supplémentaire, l'usage de ce terme vise en effet à décrire une réalité complexe devenue presque invisible à force d'évidence mais dont l'émergence se situe à la charnière des xixe et xxe siècles. Tout à la fois conquête inédite de la vitesse individuelle, facteur de développement du tourisme, mythologie voire religion moderne, art technique nouveau et révolution utilitaire, l'automobilisme a multiplié les atouts pour susciter vocations et conversions.

La Car Society qui se réunit en 1900 à Paris lors du premier congrès international d'automobilisme était sans doute peu consciente, malgré ses grandes proclamations optimistes, de la réelle portée de cette civilisation de l'automobile sur le point de se déployer, et de ses réels effets à venir. Dès ses premiers tours de roue, l'auto suscita un enthousiasme sans borne chez les plus ardents de ses promoteurs qui se pensèrent comme une véritable confrérie de disciples initiés[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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