Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

AUTOMOBILISME

Les États-Unis, matrice de l'automobilisme contemporain

À la ville comme à la campagne, l'automobilisme s'imposa aux États-Unis comme nulle part ailleurs. Le philosophe Jean Baudrillard l'a relevé dans une sentence qui porte bien au-delà de la simple provocation : « L'intelligence de la société américaine réside tout entière dans une anthropologie des mœurs automobiles – bien plus instructives que les idées politiques » (Amérique, 1986). L'auto y a effectivement connu une forme de « naturalisation », dont les ressorts fondamentaux touchent aux libertés premières, pionnières et fondamentales que la société nord-américaine démocratique a immédiatement projetées en elle et ce plus d'un siècle durant. En 1900, alors que l'automobile était européenne, la problématique de l'automobilisme commença d'ores et déjà à s'emparer des États-Unis. Ces derniers ont effectivement constitué le théâtre naturel de son triomphe, avec un impact – sur les paysages, l'architecture, les villes – une puissance – sur le travail et l'économie – et une influence – sur l'esthétique et le design −, tout à fait incomparables .

Outre-Atlantique, l'automobile fut dès ses débuts un fait de civilisation reconnu sans difficulté aucune. L'existence avérée d'un lien historique très fort entre liberté de déplacement et liberté individuelle, qui, en l'occurrence, touche à l'essence de la nation américaine, a permis à la notion si opératoire de frontière (frontier, limite à repousser indéfiniment pour accroître sa propre liberté) d'intégrer la motorisation individuelle comme pilier d'une définition renouvelée et renforcée de l'individualisme au xxe siècle, sans que le conflit de classes n'y apporte de trouble. À maints égards, à partir des années 1920, l'expérience américaine a constitué en effet une forme d'absolu et de matrice par rapport auxquels les constructeurs, les urbanistes, les artistes ou encore les romanciers français et européens ont raisonné en termes de modèle ou de contre-modèle. La place occupée dans la vie quotidienne d'une part, et, d'autre part, dans les expériences limites que le cinéma a constituées en genre majeur, avec les road movies, fit de l'expérience automobilistique aux États-Unis un horizon indépassable.

Ce type de développement effréné, dont la passion pour les « grosses américaines » démesurées – aujourd'hui les S.U.V., sport utility vehicles, communément appelés 4 × 4 – est le symptôme, rencontre toutefois de nos jours ses limites. En raison des déséquilibres qu'ils entraînent, les présupposés majeurs du système de transport américain, fondés sur la multi-motorisation individuelle, sont reconnus incompatibles avec les exigences du développement durable. Rendues possible par l'auto, la périurbanisation, la ville suburbaine, la banlieue (ce que les Anglo-Saxons nomment, depuis le début du xxe siècle, sprawl, l'étalement urbain) avec la taylorisation des activités et la morphologie urbaine qu'elle implique, sont donc aussi remises en cause. Une « ville » comme Los Angeles, avec ses freeways et ses échangeurs interminables en apporte la démonstration jusqu'à l'absurde. La fragilisation du complexe économique fondé sur le couple hydrocarbures-grands constructeurs (Exxon-General Motors, pour ne citer que les deux plus grands dans l'histoire de ces secteurs) est évidente et les enjeux immédiats et à venir pleins d'incertitudes.

Il n'en reste pas moins que la culture des road sides (littéralement « bords de route »), véritable patrimoine national, demeure. Depuis les invraisemblables courses poursuites du cinéma burlesque, en passant par la série infinie des road movies, jusqu'au film d'animation[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférences, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne

Classification