- 1. Le peintre en saint Luc
- 2. Le regard du peintre : l'autoportrait « situé »
- 3. L'âme du peintre : l'autoportrait « au naturel »
- 4. Le peintre noble et savant : l'autoportrait « en majesté »
- 5. Le peintre au travail : le triomphe de la peinture
- 6. Portraits de groupe
- 7. Aberrations
- 8. Bibliographie
AUTOPORTRAIT, peinture
Le regard du peintre : l'autoportrait « situé »
Dans ses Vite (Vies des peintres illustres...), Vasari attire notre attention sur un autre procédé, inauguré par Giotto dans les fresques de l'Annunziata de Gaète (1333), où l'on pouvait voir « sa propre figure au pied d'un grand crucifix splendide ». Ce type d'autoportrait dit in assistenza ou situé, c'est-à-dire intégré à une scène religieuse ou profane, en dépit parfois de toute vraisemblance, voire de toute logique historique, devait connaître en Italie (et ailleurs), jusqu'au milieu du xvie siècle surtout, un très grand succès attesté par Vasari lui-même à travers un grand nombre d'exemples : ainsi de Filippo Lippi dans le Couronnement de la Vierge des Offices, Florence (1441-1447), de Luca Signorelli dans L'Histoire de saint Benoît (1499-1504) à la chapelle S. Brizio d'Orvieto, puis de Raphaël dans L'École d'Athènes (1509-1510 ; chambre de la Signature, palais du Vatican). En Allemagne, à la même époque, Dürer donna de cette formule l'une de ses illustrations les plus originales et les plus poétiques dans Le Martyre des dix mille chrétiens (1508, Kunsthistorisches Museum, Vienne). La particularité de l'autoportrait situé est que l'artiste, souvent perdu dans la foule des protagonistes, n'y est reconnaissable que par l'intensité de son regard dirigé vers le spectateur qu'il semble prendre à témoin de ce qui se passe devant lui. Grâce à cette médiation, qui nous introduit « mentalement » dans l'espace du tableau, la scène acquiert un surcroît de réalité. L'effet inverse est obtenu lorsque l'autoportrait, à l'instar des donateurs des « primitifs » flamands, est d'échelle réduite par rapport aux autres figures, a fortiori lorsqu'il se détache clairement de la scène principale : ainsi dans L'Adoration de la sainte Trinité (1511, Kunsthistorisches Museum, Vienne) de Dürer, ou encore dans un diptyque d'Hinrik Bornemann le Jeune, Saint Luc peignant la Vierge (1499, église Saint-Jacques, Hambourg), où le peintre se dissimule presque dans les plis du manteau de l'Évangéliste.
Quant à l'autoportrait « caché », où l'artiste exploite un accident physique du décor – le plus souvent un reflet dans un miroir, sur un verre ou une cuirasse –, pour s'introduire subrepticement dans son tableau, il constitue l'une des variantes les plus troublantes de la figuration in assistenza, car ses connotations sont généralement funèbres. L'allusion à la mort est particulièrement évidente dans Les Époux Arnolfini (1434, National Gallery, Londres) de Van Eyck (le peintre apparaît dans un miroir à proximité d'une signature au passé qui souligne sa présence sur les lieux : « Johannes de Eyck fuit hic ») comme dans une Vanité de Pieter Claesz (vers 1635, Germanisches Landesmuseum, Nuremberg). En raison du sujet de l'œuvre, elle se devine également dans la Tête de saint Jean-Baptiste (1507, musée du Louvre) d'Andrea Solario, où le visage anamorphosé de l'artiste se reflète à l'envers dans le pied d'une coupe d'orfèvrerie.
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Écrit par
- Robert FOHR : historien de l'art
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