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AUTOPORTRAIT, peinture

Le peintre au travail : le triomphe de la peinture

<it>Les Ménines</it>, D. Velázquez - crédits : Imagno/ Getty Images

Les Ménines, D. Velázquez

Bien qu'il ne s'agisse pas d'un véritable autoportrait, l'image de Marcia peignant son propre portrait}} à l'aide d'un miroir (Livre des femmes nobles et renommées de Boccace, 1402, Bibliothèque nationale de France, Paris) montre bien ce qui est en jeu dans la représentation de l'artiste au travail, a fortiori dans le cas d'un autoportrait : la célébration, en abyme, d'un art de l'illusion. Apparu en Italie dans le courant du xvie siècle, l'autoportrait au chevalet ou à la palette hésite d'emblée entre deux types de mise en pages, solennelle (Antonio Moro, 1558, Offices) ou dépouillée (G. P. Lomazzo, 1568, Brera, Milan), dont l'une exalte la dignité de l'art, et l'autre son mystère ou ses présupposés techniques, ce qui explique le succès de la formule jusqu'à notre époque, en particulier auprès des femmes toujours soucieuses de se poser en professionnelles (Catherina van Hemessen, Artemisia Gentileschi, Angelica Kauffmann, Mme Vigée Le Brun, Hortense Haudebourt-Lescot, Suzanne Valadon, Marie Laurencin...). Avant Cézanne (1885-1887, Fondation Bührle, Zurich) et Modigliani (1919, museu de Arte, Saõ Paulo) qui ont su la renouveler en en faisant un manifeste de leur art, Chardin, dans son merveilleux Autoportrait à l'abat-jour vert (pastel, 1775, musée du Louvre) l'avait portée à sa perfection par un subtil mélange de dépouillement et d'émotion servi par un cadrage « de près » : la peinture n'est jamais si auguste que lorsqu'elle se donne à voir sous son jour le plus humble. Pour peu que l'image s'élargisse jusqu'à mobiliser tout l'atelier, le propos se diversifie : si, avec Jan Steen et Frans I Van Mieris, il ne dépasse guère l'anecdote, Velázquez (Les Ménines, 1656, musée du Prado, Madrid) trouve là l'occasion de se livrer à un jeu fort savant sur la continuité de l'espace réel et de l'espace pictural (avec des sous-entendus funèbres), et, à travers soi, de glorifier la peinture. Goya, dans La Famille de Charles IV (1800-1801, ibid.) ne retiendra de cette leçon que son aspect tératologique et macabre ; témoin discret, il montre ce qui ne peut être « dit ». Chacun à sa manière, Vermeer de dos (L'Atelier, vers 1666, Kunsthistorisches Museum, Vienne), Rembrandt de face (1628, Museum of Fine Arts, Boston), exprime, dans le tête-à-tête de l'artiste et du chevalet, le mystère de la création.

Velázquez et Vermeer, comme Rembrandt et Chardin, sont impassibles. D'autres, au contraire, se campent dans des poses « artiste » : sir Joshua Reynolds (1753-1754, National Portrait Gallery, Londres) met la main en visière, pour voir mieux et plus loin sans doute, Jean Jouvenet (vers 1695, musée des Beaux-Arts, Rouen) pointe un index glorieux vers le plafond qu'il est en train de peindre... D'autres enfin rusent pour mieux faire ressortir leur « art », ou bien s'esquivent carrément : Sofonisba Anguisciola montre Le Peintre Bernardino Campi faisant son portrait [à elle] (vers 1560, Pinacoteca nazionale, Sienne), Annibal Carrache abandonne son image sur un chevalet dans un atelier vide (vers 1595, Offices).

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Le moine Eadwine travaillant au manuscrit - crédits :  Bridgeman Images

Le moine Eadwine travaillant au manuscrit

<em>Autoportrait</em>, V. Van Gogh - crédits : Courtesy National Gallery of Art, Washington

Autoportrait, V. Van Gogh

<it>Autoportrait en costume oriental</it>, Rembrandt - crédits : Paris Musées ; CC0

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