AUTOUR DE GABRIELE BASILICO (livres et exposition)
Lorsque Gabriele Basilico, architecte de formation, réalise une série d'images sur la banlieue de Milan à la fin des années 1970 (Milano, ritratti di fabbriche, Sugarco, Milan, 1983), la photographie de paysage urbain est un genre étranger au champ de l'art en Europe. Seuls les Américains, dans la continuité d'artistes tels que Charles Sheeler ou Walker Evans, considèrent les développements de l'architecture industrielle et les paysages qu'elle produit dignes d'un intérêt autre que purement documentaire. Plus exactement, le « style documentaire » (Walker Evans) qu'appellent de tels paysages leur semble d'une grande pertinence dans un contexte marqué par l'art minimal et l'art conceptuel. En atteste l'expositionThe New Topographics présentée en 1975 à la George Eastman House (Rochester), où seuls deux Européens figuraient : Bernd et Hilla Becher, avec un fragment de leur inventaire photographique des architectures industrielles dont l'élaboration rigoureuse ont constitué leur unique préoccupation à partir de la fin des années 1950.
Les ouvrages que deux éditeurs français viennent de consacrer à l'œuvre de Gabriele Basilico ainsi que l'exposition rétrospective présentée à Paris, du 21 juin au 15 octobre 2006, par la Maison européenne de la photographie, sont l'occasion de mieux apprécier le rôle de cet artiste né en 1944 dans l'histoire de la relation que l'art entretient, via la photographie, avec l'architecture et, plus généralement, avec les formes urbaines. En ouverture de Scattered City (Le Point du jour, 2006), dans une conversation avec les architectes Stefano Boeri et Yona Friedman, et le critique d'art Hans Ulrich Obrist, Gabriele Basilico rappelle l'influence déterminante qu'ont eue sur son travail la frontalité, la sérialité et la démarche typologique adoptées par les Becher au moment où il photographiait la périphérie de Milan. Mais si cette série, republiée dans Carnet de travail, 1969-2006 (Actes Sud, 2006), opte souvent pour une parfaite frontalité, elle annonce également en quoi le projet de Basilico va se distinguer de celui des Becher. Il apparaît clairement, chez le photographe italien, que l'enjeu n'est pas de collecter des objets ou des sites spécifiques choisis pour leur fonctionnalité, mais de donner à lire un territoire urbain, de décrire son système, ses points de rupture et de continuité, dont la séquence de photographies pourrait devenir le lieu de résolution vers une éventuelle homogénéité. En outre, sur le plan purement esthétique, l'usage de la diagonale et de l'ombre pour structurer la composition de ses images, ou encore la présence de quelques passants isolés sont autant de choix inconciliables avec les enjeux que les Becher déploient autour de l'articulation entre document et monument.
Basilico cultive une approche résolument kaléidoscopique de la ville. L'objectivité de la description – renforcée par l'usage presque exclusif du noir et blanc et de la chambre photographique – y est souvent brouillée par des éléments contingents : éclairage artificiel dans ses vues nocturnes, ciels chargés de nuages, traces en filé du passage des voitures, plus ou moins grande proximité au sujet, point de vue en plongée avec perspective fuyante, contre-jour, etc. Scattered City, précise Basilico, « rassemble des photographies réalisées entre 2000 et 2005, librement organisées en une séquence suivant […] le mouvement d'un récit emphatique, indépendamment de critères chronologiques, typologiques et géographiques ». Cette procédure vaut sans aucun doute pour l'ensemble de son œuvre. « Il ne s'agit pas pour moi, ajoute-t-il, de documenter de manière rigoureuse et scientifique un sujet, mais de traverser librement une expérience complexe » – en l'occurrence celle de la ville en constante[...]
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Écrit par
- Emmanuel HERMANGE : critique d'art, directeur des Arcades, Issy-les-Moulineaux
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