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AUX ORIGINES DE L'ABSTRACTION. 1800-1914 (exposition)

En France, une exposition sur l'abstraction se faisait attendre. Elle a enfin eu lieu, du 5 novembre 2003 au 22 février 2004, au musée d'Orsay, dont le président, Serge Lemoine, associé à Pascal Rousseau, maître de conférences à l'université de Tours, proposait aux visiteurs de remonter « aux origines de l'abstraction ».

Jusqu'à présent, l'archéologie de l'abstraction avait privilégié trois axes majeurs : l'évolution des formes, les sources spiritualistes et les liens avec l'ornement. Cette exposition prenait le parti d'en explorer les ressorts scientifiques selon un double parcours, celui des liens entretenus avec l'optique et avec l'acoustique, par lesquels on comprenait que l'abstraction, loin de se couper du réel, s'attache à en traduire des phénomènes jusqu'alors insoupçonnés.

En accueillant le spectateur dans un espace vibrant de lumière dû à la jeune artiste belge Ann Veronica Janssens, les commissaires de l'exposition entendaient poser l'actualité de leur propos et, plus encore, faisaient de cette manifestation le lieu d'une expérience de l'œuvre, une expérience en l'occurrence synesthésique. Sortant de cet environnement, le visiteur débouchait sur un tableau de Caspar David Friedrich montrant une femme vue de dos, qui contemple le soleil matinal : à deux siècles de distance, même face-à-face avec le soleil, même éveil des sens.

Une telle entrée en matière suggérait d'emblée toute l'audace et toute l'intelligence de l'accrochage, mais aussi de la scénographie. Choisissant pour figure tutélaire l'auteur du Traité des couleurs (1810), l'exposition misait sur une polychromie inspirée du principe goethéen de la naissance des couleurs, par le frottement du clair et de l'obscur. Pour exemple, la première salle, de couleur terre, faisait émerger les jaunes incandescents des œuvres de Turner, Monet et Derain, qui fixent le soleil à la façon des physiologistes du xixe siècle, exposant leur rétine au risque de la cécité. C'est l'histoire de Regulus (1828 et 1837), tableau où Turner ne donne pas à voir le consul romain auquel on a arraché les paupières, mais tente de traduire l'effet de cette mutilation sur sa vision : un éblouissement et une dissolution des formes rendues par une vibration de la touche – ou, plus loin dans le parcours, par l'incandescence des couleurs chez Redon ou les expressionnistes. Entre-temps, une salle plongée dans un gris très sombre accompagnait la disparition de la forme dans l'obscurité, chez Friedrich, Whistler, Van Gogh ou Balla, selon un système de raccourci chronologique récurrent dans l'exposition. Les deux dernières salles étaient consacrées à l'étude de la couleur pour elle-même, détachée de tout support figuratif. Les traités et objets scientifiques de Newton, Chevreul ou Rood éclairaient les compositions prismatiques de Klee, Balla, Itten, Larionov, et celles, circulaires, des orphistes. Mais la surprise résidait dans le parallèle établi entre les taches solaires vulgarisées par l'abbé Moreux et leur traduction chez Kupka.

Bien avant que la musique, abstraite par nature, ne joue le rôle de modèle pour le débat des années 1910 autour de la « peinture pure », les artistes ont multiplié les correspondances entre ces deux langages et cherché des équivalents plastiques aux compositions musicales, s'appuyant sur les débuts de l'acoustique. C'est ce que montraient, dès la première salle, les œuvres des romantiques allemands, où prolifèrent rinceaux et arabesques, qui offrent autant de « figures du son », inspirés par les expériences d'Ernst Florens Friedrich Chladni à la fin du xviiie siècle : une plaque de verre recouverte de sable est mise en vibration au moyen d'un archet, faisant apparaître des[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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