GARDNER AVA (1922-1990)
L'une des « beautés » du cinéma, liée à quelques rôles mythiques, Ava Gardner était bien plus que « le plus bel animal du monde » vanté par les slogans publicitaires : une actrice spontanée et une image de la féminité qui conjuguait en elle tous les contraires, romantique et libre, marmoréenne et touchante, sensuelle et timide.
Une présence singulière
Née le 24 décembre 1922, dans une plantation de tabac de Caroline du Nord, à Grabtown, Ava Gardner y grandit en garçon manqué, crapahutant partout pieds nus. Son beau-frère, photographe, affiche à la vitrine de son magasin un portrait qu'il a fait de la jeune fille de dix-huit ans. Un « découvreur de talents » de la M.G.M. le remarque et fait engager Ava, qui va alors suivre le parcours du combattant de la starlette hollywoodienne. De 1941 à 1946, elle apparaît dans vingt-quatre films sans obtenir de véritable rôle pour dix-neuf d'entre eux. Elle suivra des cours en tout genre et se prêtera à une abondance de photos publicitaires, d'élégantes apparitions à des premières, au bras de quelqu'un de plus connu qu'elle, et même à deux mariages : en 1942 avec Mickey Rooney, la star éternellement adolescente du studio, puis en 1945 avec le populaire musicien de jazz Artie Shaw (elle épousera par la suite Frank Sinatra en 1951).
Ava Gardner obtient son premier rôle quand la M.G.M., avec qui elle a signé un contrat jusqu'en 1958, la « prête » à l'Universal comme partenaire de George Raft dans Whistle Stop (Tragique rendez-vous, 1946), production modeste réalisée par le Franco-Russe Léonide Moguy. Satisfaite de sa prestation, l'Universal la redemande pour le principal rôle féminin du plus ambitieux The Killers (Les Tueurs, 1946) de Robert Siodmak : dans ce chef-d'œuvre du film noir, la beauté sculpturale d'Ava Gardner complète magnifiquement la virilité sensuelle de Burt Lancaster. Étrangement touchante dans son rôle de femme fatale, elle fait poindre la femme blessée derrière l'archétype de la criminelle, comme l'évoque le blues qu'elle susurre au piano... Elle enchaîne, toujours dans le même studio, avec le mélodrame exotique Singapore (Singapour, 1947) de John Brahm.
Cette escapade prolongée persuade la M.G.M. du potentiel de la jeune actrice. À son retour, le studio lui propose enfin de vrais rôles et désormais des stars de première grandeur comme partenaires : Clark Gable (The Hucksters [Marchands d'illusions], 1947, de Jack Conway ; Lone Star [L'Étoile du destin], 1952, de Vincent Sherman), Robert Taylor (The Bribe[L'Île au complot], 1949, de Robert Z. Leonard ; Ride Vaquero ! [Vaquero], 1953, de John Farrow ; The Knights of the Round Table [Les Chevaliers de la table ronde], 1953, de Richard Thorpe) ou Gregory Peck (The Great Sinner [Passion fatale], 1949, de Robert Siodmak). Royale, et comme indifférente, Ava Gardner traverse ces films de sa démarche de panthère, semant le doute tant dans les intrigues amoureuses qu'auprès des dirigeants du studio qui ne savent encore comment utiliser au mieux cette présence spectaculaire mais singulière. De plus, elle croit bien peu en ses capacités d'actrice et n'est pas très combative. C'est elle cependant qui a le plus beau rôle dans le grand mélodrame musical Show Boat (1951) de George Sidney − celui de la sang-mêlée Julie La Verne, au destin tragique, qui, victime des préjugés raciaux, sombrera dans l'alcool et se sacrifiera pour le couple d'amoureux. Ava Gardner travaille dur, mais la M.G.M., peu confiante en ses capacités, pratique des coupes dans son rôle et la double pour les deux magnifiques chansons de Jerome Kern qu'elle interprète d'une voix peut-être peu entraînée, mais remarquablement sincère (c'est elle qu'on entend dans le disque, a contrario du film).
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Écrit par
- Christian VIVIANI
: historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue
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Média