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GARDNER AVA (1922-1990)

Eva Prima Pandora

En réalité, c'est loin de la M.G.M. qu'Ava Gardner va interpréter ses rôles les plus fameux ; des personnages, imaginés tout spécialement pour elle, qu'elle fera vivre avec intensité. La beauté autant que l'esprit singulier de l'actrice inspirent les cinéastes originaux, alors qu'ils s'étiolent dans la routine. En Angleterre, Albert Lewin, intellectuel américain raffiné, épris de littérature et de peinture, fait d'elle Pandora (Pandora and the Flying Dutchman, 1951), réécriture sur le mode surréaliste de la légende du Hollandais volant. Ava Gardner y incarne la « femme éternelle », Eva Prima Pandora, comme il est dit dans le film (n'oublions pas que son prénom se prononce en anglais « Eva »...), prête à suivre son amour dans l'éternité. Pour ce film, Man Ray peint son portrait, que le chef opérateur Jack Cardiff irise de bleu profond et de vieux rose, la rendant à jamais magique.

Ava Gardner - crédits : Keystone/ Getty Images

Ava Gardner

C'est également Cardiff qui, dans la même admirable palette, la photographie pour son rôle le plus mythique, The Barefoot Contessa (La Comtesse aux pieds nus, 1954) de Joseph L. Mankiewicz : elle y interprète Maria Vargas, danseuse de flamenco dans les bouges madrilènes, qui devient Maria d'Amata, star de cinéma hollywoodien. Ce rôle que le cinéaste-scénariste a imaginé d'abord pour Linda Darnell, puis pour Rita Hayworth, Ava Gardner se l'approprie totalement. Celle que la publicité surnommait, avec une certaine muflerie, « le plus bel animal du monde », s'y montre une femme étonnamment libre, mais aussi perpétuellement frustrée : les hommes qui compteront pour elle, son ami le cinéaste Harry Dawes (Humphrey Bogart) et son mari impuissant, le comte Vincenzo Torlato Favrini (Rossano Brazzi), ne pourront lui offrir qu'une relation platonique. Miroir de tous les désirs, Maria est peinte par ceux qui l'ont côtoyée, tandis que, sous une pluie battante, se déroule son enterrement, autour de son effigie marmoréenne mais pieds nus, comme la jeune Ava autrefois dans les plantations de tabac de ses parents.

Ce « spleen » si particulier, Ava Gardner le traîne jusqu'en Afrique où John Ford lui offre un rôle d'aventurière pleine de vitalité (Mogambo, 1953). Cette mélancolie la prédestine également à l'univers d'Ernest Hemingway. Elle interprète à merveille ces belles héroïnes douloureuses, rongées par un secret mal de vivre, qui brûlent la chandelle par les deux bouts en Europe pour ne pas mourir en Amérique : Henry King lui propose par deux fois ce type de personnage (The Snows of Kilimanjaro [Les Neiges du Kilimandjaro,] 1952 ; The Sun Also Rises[Le Soleil se lève aussi], 1957).

George Cukor, qui savait comment tirer des trésors d'une actrice, la dirige à merveille dans le chatoyant La Croisée des destins (Bhowani Junction, 1956), dans le rôle d'une métisse déchirée entre son appartenance à l'empire britannique et l'origine indienne qu'elle tient de son père, à l'heure où l'Inde est agitée par le message pacifiste de Gandhi. Ces rôles intenses, ces environnements tumultueux siéent à la sensualité d'Ava Gardner. En revanche, la biographie de Goya, où elle incarne la duchesse d'Albe, s'avère une occasion ratée (The Naked Maja [La Maja nue], 1958, de Henry Koster).

Marquée par ces rôles, Ava Gardner, sous le charme du torero Luis Miguel Dominguìn, se fixe en Espagne et devient la cible des paparazzi. Elle choisit en quelque sorte la vie contre le cinéma, renonçant à la carrière fabuleuse qui aurait pu être la sienne, ne revenant au cinéma que lorsque le besoin matériel s'en fait sentir. En général, les films issus de cette période sont médiocres, même si Ava Gardner les interprète avec ferveur et dignité, les marquant immanquablement du magnétisme de sa présence (The Angel[...]

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Écrit par

  • : historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue Positif

Classification

Média

Ava Gardner - crédits : Keystone/ Getty Images

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