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AVERROÈS, arabe IBN RUSHD (1126-1198)

En Islam, la philosophie inspirée des Grecs (la falsafa) a eu une histoire complexe. Intégrant dès le début des éléments variés à son aristotélisme néo-platonisant, elle culmine en Orient avec Avicenne (Ibn Sīnā), dont la pensée devait connaître des développements nouveaux en Iran. Averroès (Ibn Rušd) est, symétriquement, le principal philosophe musulman de l'Occident, mais son projet et son destin furent tout autres.

Pour lui, la philosophie est uniquement celle d'Aristote, et c'est elle qu'il veut retrouver dans sa pureté en éliminant les interprétations qu'en ont donné ses prédécesseurs musulmans (les falāsifa, ou philosophes) et même les commentateurs grecs. Il se l'approprie avec assez de pénétration et de puissance pour construire un système qui porte sa marque personnelle tout en se tenant au plus près d'Aristote.

Mais on ne lui trouve pas de postérité en Islam : persécuté sur la fin de sa vie, c'est à des juifs et à des chrétiens attachés à conserver et traduire ses œuvres qu'il doit son influence posthume. Encore cette survie est-elle marquée par une mauvaise compréhension de sa pensée, comme Renan l'a noté. Les spécialistes retrouvent progressivement le véritable Averroès, précisant notamment ce que fut sa pensée religieuse, qui n'a rien perdu de son actualité.

Médecin et juriste

Abū l-Walīd Muḥammad ibn Aḥmad ibn Muḥammad ibn Rušd (dont le nom devint, pour l'Occident, Averroès, quand ses œuvres furent traduites en latin) naquit à Cordoue en l'an 520 de l'hégire, 1126 de l'ère chrétienne. Cordoue était le lieu d'une activité intellectuelle brillante ; la famille d'Averroès comptait des juristes célèbres (notamment son grand-père), et la philosophie chez les musulmans d'Espagne était encore vivace, bien que fort suspecte aux théologiens et à la foule des croyants. En 565/1169, Averroès est qāḍī à Séville, peu de temps après avoir été présenté à l'émir Abū Ya‘qūb Yūsuf par le philosophe Ibn Ṭufayl ; vers 567/1171, il est à Cordoue, probablement encore comme qāḍī. En 578/1182, il devient, à Marrakech, médecin de Yūsuf, en remplacement d'Ibn Ṭufayl ; il remplira les mêmes fonctions auprès du successeur de Yūsuf, Abū Yūsuf Ya‘qūb al-Manṣūr. Mais, attaqué par les tenants d'une orthodoxie religieuse étroite, il tombe en disgrâce vers 592/1195, et meurt en 595/1198.

Pour avoir quelque idée de la stature intellectuelle d'Averroès, il convient de considérer l'ensemble de ses œuvres, et notamment de ne pas oublier que ce philosophe fut aussi médecin et juriste ; c'est même à ce double titre que s'exerça sa carrière officielle, et il écrivit d'abord sur la médecine et le droit. Vers la quarantaine, il composa en effet un grand traité médical intitulé al-Kulliyyāt (Généralités, titre qui deviendra Colliget dans les traductions latines) ; il y tenait assez pour le remanier sur la fin de sa vie. Parmi ses autres ouvrages de médecine, on peut citer des commentaires sur divers écrits de Galien et sur un poème médical d'Ibn Sīnā (lui aussi médecin et philosophe). De la même époque que les Kulliyyāt date la Bidāya, ouvrage consacré à des questions discutées en matière de fiqh (droit, au sens musulman, selon lequel le religieux et le juridique ne se dissocient pas), et qui lui a valu une certaine réputation en ce domaine. Cela dit, et une fois signalé qu'il a aussi traité d'astronomie et de grammaire, il est certain que le meilleur de la gloire et du génie d'Averroès se fonde et se manifeste en ses écrits philosophiques.

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

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