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AVICENNISME LATIN

L'influence d'Avicenne sur la pensée médiévale est telle qu'il est difficile de donner un sens à l'expression d'avicennisme latin sans en réduire en même temps la portée. De fait, comment ramener à l'unité d'un courant isolable la présence multiple et efficace d'une pensée que les auteurs les plus divers ont toujours utilisée comme une source d'information positive, souvent comme un instrument d'élucidation neutre, parfois comme un pôle de doctrine négatif ? Somme du savoir philosophique gréco-arabe, figure majeure d'un aristotélisme par endroits si fortement teinté de platonisme qu'il semble né pour être christianisé, maître d'une méthode qui crée à la fois les complexes de problèmes et les principes de leurs solutions, Avicenne est le point de départ de toute la philosophie du Moyen Âge tardif, le centre de perspective, le familier et l'adversaire que l'on utilise et que l'on présuppose là même où l'on prétend s'en écarter.

Entre l'assentiment déclaré et la fidélité latente, la reprise décidée et le pillage tacite, l'œuvre d'Avicenne ne cesse d'agir partout où les chemins de théologie et de philosophie se suivent ou se croisent, se fondent ou se séparent. On ne saurait donc s'étonner d'échouer à peindre une « école », quand les données philosophiques et philologiques mêmes présentent une irréductible pluralité d'intérêts, de figures et de groupes. On parle, on a parlé, d'« avicennisme latin », pour l'amour de la symétrie. Il y avait un « averroïsme », il lui fallait un pendant. À mieux connaître le Moyen Âge, on se rend à présent compte que l'avicennisme n'est pas un bloc sans faille que l'on pourrait livrer brut, mais un paysage qu'il faut apprendre à lire ou une métaphore qu'il faut savoir filer. L'histoire de l'avicennisme médiéval est d'abord celle de l'Avicenna latinus. Elle a partie liée avec l'aristotélisme, mais tout autant, et sans doute davantage, avec la réception d'Aristote.

Le corpus avicennien médiéval

Les médiévaux ont connu Avicenne avant de connaître l'intégralité de l'œuvre d'Aristote. C'est chez lui qu'ils ont trouvé le premier exposé complet d'une philosophie construite. Ce fait a eu ses conséquences, mais on ne peut bien les évaluer sans savoir ce qui a été effectivement lu. L'état actuel du corpus latin d'Avicenne ne donne qu'une idée imparfaite de ce qu'il pouvait être au Moyen Âge. Si l'avicennisme latin a eu plusieurs aspects, il est clair qu'il s'est aussi alimenté à une source plus abondante et plus variée que ne l'indique ce qui en a survécu.

Jusqu'à un passé récent, l'historien ne disposait que des Opera philosophica publiés en 1508 à Venise. Lourdement grevée de textes pseudépigraphes, philologiquement peu sûre, cette « édition » des chanoines réguliers de Saint-Augustin ne pouvait que contribuer à déformer les deux images d'Avicenne et de l'avicennisme – attribuant notamment à l'un ce qui appartenait à l'autre ; elle était aussi lacunaire, laissant de côté certaines sources manuscrites authentiques qui, par là même, devaient longtemps rester lettre morte. Les premiers volumes de l'édition critique de S. Van Riet, encadrés par les études de Marie-Thérèse d'Alverny sur la tradition de l'œuvre d'Avicenne, permettent d'en restituer enfin la diffusion effective.

Outre le Canon de médecine, les médiévaux ont essentiellement pratiqué la grande encyclopédie philosophique et scientifique qu'est le Shifa'. À en juger par l'édition de 1508, on pouvait croire qu'ils disposaient seulement de matériaux très fragmentaires. On sait maintenant qu'il n'en[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval

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