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AVICENNISME LATIN

Le premier avicennisme

Avant la traduction complète d'Averroès (1230 env.), l'assimilation des textes philosophiques arabes reflète avant tout l'idiosyncrasie des traducteurs de Tolède. La traduction latine du De anima d'Avicenne est due à une équipe de traducteurs comprenant un membre arabophone (« Avendauth Israelita »), peut-être Ibn Daud (mort à Tolède vers 1180), et un latiniste (l'« archidiacre Dominique »), généralement identifié à Domingo Gonzalez (Dominicus Gundissalinus, Dominique Gundissalvi), traducteur supposé de Gabirol, Fārābī et Isaac Israeli. Lui-même auteur d'un De divisione philosophiae dont on a déjà souligné l'importance, Gundissalinus a également rédigé (vraisemblablement entre 1126 et 1150) un De anima dont le titre même indique assez la nature : Liber de anima a Dominico Gundissalino ab arabico in latinum translatus ! De cette singulière « traduction », qui ne reprend aucun écrit arabe en particulier, il est aisé de montrer qu'il s'agit d'une compilation de matériaux divers dont, selon le mot d'Étienne Gilson, « Avicenne fait largement les frais ». L'ouvrage mérite cependant l'attention, car il est le premier témoin de l'avicennisme latin et, plus encore, son modèle même. Exposant tacitement la psychologie philosophique d'Avicenne, Gundissalinus en reprend tous les éléments : classification des intellects en intellectus materialis, intellectus in habitu, intellectus in effectu, intellectus adeptus, position d'un Intellectus agens séparé auquel il soumet l' intellect de l'homme, définition du processus de la connaissance abstractive en termes de « conjonction » ou d'« union » de l'intellect de l'homme avec l'Intellect « en acte » qui, « du dehors », « lui donne les formes intelligibles », définition de ce « don » en termes de « flux des formes » dans notre intellect chaque fois qu'il s'est « mis en état de s'unir à l'Intelligence agente ». Cette « reprise » d'Avicenne – qui en un sens fait triple emploi avec Avicenne lui-même et le résumé de Ghazālī – serait sans intérêt si Gundissalinus ne l'achevait pas par un exposé de théologie mystique empruntant à Augustin, voire à Bernard de Clairvaux. De fait, à l'intellectus facteur de science (scientia), tout occupé à dégager l'intelligible du monde sensible, Gundissalinus ajoute une faculté humaine supérieure, l'intelligentia génératrice de sagesse (sapientia), « œil supérieur » de l'âme, exclusivement occupée à contempler les Intelligibles purs. Ce type de connaissance, qui transcende la science, auquel, « selon Boèce, peu d'hommes parviennent » et qui « n'appartient en propre qu'à Dieu », permet à l'âme « de se contempler elle-même » et de « refléter en les contemplant, tel un miroir, et Dieu et les intelligibles éternels » – reflet, miroitement de la lumière, qui est aussi un « rapt », l'ascension au « troisième ciel » dont parle l'Apôtre, et, plus encore qu'une vision, un « goût », une « saveur » (sapor) mystique. L'idée que la connaissance scientifique s'achève en une connaissance sapientielle n'est évidemment pas étrangère à la pensée d'Avicenne – al-Ghazālī lui-même l'avait remarqué ; l'originalité de Gundissalinus est de terminer la psychologie avicennienne dans une mystique de type augustinien, d'achever une analyse où la cosmologie néo-platonicienne des Intelligences fonde et encadre la noétique, « dans la doctrine chrétienne traditionnelle du Dieu illuminateur d'Augustin et des mystiques (E. Gilson).

Par là, c'est tout un courant de pensée qui s'engage et qui entraîne avec lui Aristote et Avicenne dans une direction qui, à des[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval

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