ĀYURVEDA
Doctrines
Telle qu'elle se présente dans les grands traités classiques, la médecine āyurvédique se veut rationnelle et se distingue explicitement des médecines religieuse et magique. Elle cherche effectivement à fonder les diagnostics, les pronostics et les indications thérapeutiques sur l'observation, complétée par les connaissances apprises au préalable, et sur l'inférence du symptôme à sa cause. Elle tente de se représenter rationnellement l'enchaînement des processus vitaux et de leurs perturbations, ainsi que l'effet des médicaments. Parmi les causes des maladies, elle attache une grande importance aux écarts de régime ou de comportement en rapport avec les divers climats et saisons, d'où le grand développement de l'hygiène du comportement et de l'alimentation. L'Āyurveda fait seulement une place restreinte aux possessions démoniaques, et c'est uniquement dans des parties bien distinctes de ses exposés purement rationnels qu'il traite de présages irrationnels, apparemment empruntés à la tradition babylonienne par l'intermédiaire de l'Empire perse à l'époque de la domination achéménide du bassin de l'Indus.
La doctrine générale de la physiologie et de la pathologie enseignée par l'Āyurveda distingue dans le corps humain les cinq éléments de la nature : la terre (représentée par les os et les chairs), l'eau (représentée par la pituite), le feu (sous la forme de la bile), le vent (représenté par le souffle respiratoire et par des souffles organiques censés parcourir tout le corps et l'animer de mouvements), enfin le vide (qui se trouve dans les organes creux). L'attribution à la bile d'une nature ignée et la conception de souffles organiques parcourant tout le corps remontent au Veda proprement dit. L'Āyurveda professe que les fonctions vitales sont réglées par le jeu combiné et l'équilibre des trois éléments principaux : le souffle (prāṇa), la bile (pitta) et la pituite (kapha). Ces facteurs de la vie ont chacun cinq formes qui répondent aux diverses fonctions et manifestations vitales dans l'organisme. Le souffle joue à l'intérieur de cet organisme le même rôle de moteur universel que les théories cosmologiques attribuent au vent dans la nature. Il n'est pas seulement respiratoire : les cinq souffles en lesquels il se divise assurent toutes les circulations de liquides dans le corps et les mouvements de celui-ci. Il véhicule les sensations à l'esprit (manas), organe central de la conscience, de la pensée, de l'individualité psychologique subconsciente et qui siège dans le cœur. La digestion est une cuisson des aliments par la bile ignée, attisée par le souffle. La pituite intervenant, le chyle se produit. Il est à son tour coloré et transformé en sang par une des formes de la bile. Les perturbations dans les fonctions du souffle, de la bile et de la pituite entraînent les maladies. Aussi ces trois facteurs sont-ils désignés ensemble tantôt comme tridhātu, les « trois éléments », tantôt comme tridoṣa, les « trois troubles ». Lorsque l'un ou l'autre est excité, ou s'ils le sont deux par deux ou tous ensemble, il est ou ils sont causes de troubles.
La médecine s'attache à déterminer les occasions de production (nidāna) de ces perturbations génératrices des maux (roga) et maladies (vyādhi) qu'elle classe selon la pathogénie qu'elle leur suppose, en inférant à partir des symptômes observés l'action des tridoṣa.
Le souci rationnel de déterminer exactement les raisons d'être, en elles-mêmes inapparentes, des symptômes livrés par l'investigation clinique ou révélés par les déclarations du malade et de l'entourage est fondamental dans l'Āyurveda. Toute une théorie générale de la logique, étudiant les moyens de jugement (pramāṇa[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean FILLIOZAT : membre de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France
Classification
Autres références
-
INDE (Arts et culture) - Les doctrines philosophiques et religieuses
- Écrit par Jean FILLIOZAT
- 16 660 mots
- 3 médias
...spécialement la psychologie, la théorie des organes et des mécanismes psychiques, et elles sont en rapport étroit avec les conceptions des milieux médicaux, de l' Āyurveda (le « Savoir sur la longévité »), ces milieux étant spécialisés dans l'étude théorique de l'homme en vue d'applications pratiques et l'homme... -
INDE (Arts et culture) - Les sciences
- Écrit par Francis ZIMMERMANN
- 14 198 mots
- 2 médias
...la médecine dans l'Inde traditionnelle. Il est vrai que, réciproquement, la science que nous avons pris l'habitude d'appeler médecine et qui se nomme Āyurveda en sanskrit, la « science de longévité », déborde le cadre d'une simple doctrine thérapeutique et englobe toutes les sciences naturelles, la nature... -
MOUSSON
- Écrit par René CHABOUD et Francis ZIMMERMANN
- 6 625 mots
- 4 médias
...sociaux et culturels liés au phénomène météorologique de la mousson ont été observés et expliqués avec une étonnante précision par les maîtres de l' Āyurveda, auteurs et compilateurs anonymes des grandes collections médicales en sanskrit. Nous aurions tort de négliger les clés qu'ils nous ont données... -
SANSKRITES LANGUE & LITTÉRATURE
- Écrit par Pierre-Sylvain FILLIOZAT
- 8 955 mots
- 1 média
Avec l'āyurveda (« Savoir sur la longue vie »), on a une médecine scientifique. Les deux textes fondamentaux, Caraka-saṃhitā et Suśruta-saṃhitā, que la tradition indienne donne comme des compilations d'enseignements de sages anciens, furent édités respectivement par Caraka (iie s....