AYYŪBIDES (XIIe-XIIIe s.)
Malik Kāmil (1180-1238)
Un des souverains ultérieurs de l'Égypte, Malik Kāmil, reste une belle figure. Il avait assumé le pouvoir pendant que les Francs assiégeaient Damiette, dont ils s'étaient emparés le 5 novembre 1219 ; sans doute leur situation restait précaire mais aussi les troupes musulmanes en avaient assez. C'est dans cette atmosphère de batailles sanglantes et sans issue que Malik Kāmil se prit à préférer la négociation à la guerre. Un trait émouvant : Malik Kāmil reçut à son camp, face à Damiette, la visite de saint François d'Assise ; malgré ses conseillers, il réserva au franciscain un accueil amical, et une légende franciscaine s'en souviendra, faisant mourir le sultan d'Égypte à Konia, converti par deux missionnaires de saint François.
Une négociation célèbre lui attira les récriminations justifiées, en apparence tout au moins, de toutes les populations musulmanes. Prince cultivé, il avait entretenu des relations scientifiques avec l'empereur Frédéric II et peut-être était-il imprudemment convenu de lui céder Jérusalem. Sans doute, le sultan d'Égypte était gêné par une trêve qui n'était pas encore parvenue à son terme au moment où Frédéric exigea la livraison de la cité. Après la remise de la ville, Malik Kāmil s'excusa dans un manifeste, affirmant que le culte musulman avait été garanti dans la Grande Mosquée de la ville. Les faits montrent bien que les deux souverains étaient au-dessus de leur temps : le monde islamique, surchauffé, considérait la perte de Jérusalem comme un grand malheur, tandis que la papauté, ne voulant pas oublier qu'elle avait excommunié l'empereur, jetait l'interdit sur les Lieux saints. À l'actif de Malik Kāmil, outre que ses adversaires ne regardaient pas de trop près à leurs alliances (telle la demande d'aide aux bandes kharizmiennes qui dévastaient la Syrie), on est en droit de constater que la cession de Jérusalem procura un état de paix qui ne fut jamais, pendant toute la durée des croisades, ni aussi stable ni aussi long, et c'est bien ce que le sultan avait recherché avant tout. Ce fut, en tout cas, le point de départ d'une conjuration des princes syriens contre le sultan d'Égypte, conjuration qui donna ses fruits plus tard, en 1237, lorsque Malik Kāmil reçut un véritable ultimatum lui enjoignant de ne pas sortir d'Égypte. Le conflit tourna court par suite du décès d'un des protagonistes et de la médiation du calife de Bagdad.
Le dernier épisode est une épouvantable tragédie. Les Francs avaient une seconde fois pris Damiette. Parvenus à Mansourah (Al-Manṣūra), ils y perdirent une bataille de rues. Après la mort de Malik Ṣāliḥ (1249), sa veuve Shadjar al-durr avait mandé le prince Tūrānshāh, qui régnait à Hiṣn Kayfa. Ce dernier arriva à Mansourah le 25 février 1250, pendant que l'armée musulmane, reprenant l'offensive, cernait les Francs à Fareskour et faisait prisonnier le roi de France Louis IX. Par arrogance, Tūrānshāh s'aliéna tous les cœurs et, au cours d'un banquet, le futur sultan mamlouk Baïbars lui porta le premier coup de sabre. Tūrānshāh se réfugia dans une tour de bois à laquelle on mit le feu ; il se précipita dans le Nil ; rejoint à la nage, il fut mis à mort. Ainsi périssait, le 30 avril 1250, le dernier sultan ayyūbide d'Égypte, dont la conduite insolente avait attiré cet orage.
Le meurtrier n'était pas seul : il faisait partie de la milice d'esclaves turcs que Malik Ṣāliḥ venait de constituer pour posséder à ses côtés un contingent de gardes sûrs. Ces Mamlouks, menacés, tout au moins dans leur influence, par les officiers que Tūrānshāh avait ramenés de Mésopotamie, avaient pris les devants. Telle était la signification de ce sanglant fait divers qui allait donner naissance au nouveau régime de l'Égypte,[...]
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Écrit par
- Gaston WIET : membre de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France
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