AZORÍN JOSÉ MARTÍNEZ RUIZ dit (1874-1967)
L'abondante critique sur le romancier Azorín ne laisse pas de provoquer un malaise, car elle implique une définition extrêmement contestable, qui se survit avec ténacité. Cet écrivain, issu de la bourgeoisie d'une province reculée de l'Espagne, qui s'est choisi de bonne heure un nom et un portrait, une identité d'emprunt à l'usage du public et à son propre usage, avait-il donc besoin de prendre ses distances vis-à-vis de lui-même ? Son œuvre n'exorcisait-elle pas suffisamment ses craintes ? Et si le pseudonyme s'étendait à l'œuvre ? Mieux, s'il coïncidait avec la réalité maladive d'une certaine Espagne ? Est-ce un hasard si Azorín, dans son existence même, qui fut longue et de plus en plus immobile, n'a pu, comme les romances des siècles anciens, « se taire à temps » et faire que sa mort le précède ? Le personnage auquel José Martínez Ruiz décida de s'assimiler, Antonio Azorín, anti-héros de La Volonté, est présenté dès 1902 et tel qu'en lui-même définitivement assis dans son fauteuil. C'est l'image qu'on retient des dernières visites à l'écrivain, depuis longtemps installé à Madrid, loin de son Monóvar natal. Si l'on analyse les tenants psychologiques d'une attitude aussi constante, une lumière crue et vraie éclaire cet homme, son œuvre, son itinéraire politique. On découvre des raisons profondes à l'hommage respectueux qu'une dictature a pu lui rendre, fière de compter au nombre de ses rares valeurs intellectuelles cet anarchiste repenti.
L'anarchiste à l'Académie
José Martínez Ruiz est né de notables, de « propriétaires », comme les actes officiels aiment à le souligner ; son père, à plusieurs reprises, fut maire de Monóvar. On pourrait croire, chez le jeune homme, à une réaction contre un milieu de province étouffant lorsqu'il rencontre, dans la capitale, au terme d'études inachevées, la bohème littéraire et artistique de l'époque. Il méprise la vie espagnole du temps, la politique, la religion ; il dénonce avec la plus grande vigueur l'inconsistance de ses contemporains. Moraliste ou réformateur ? Le futur Azorín collabore à la presse anarchiste. Il a certes été influencé par son professeur, Eduardo Soler, compagnon du fondateur de l'Institution libre d'enseignement, Giner de los Ríos. Il éprouve, comme le groupe qu'il baptisera bientôt « Génération de 98 », des préoccupations nationales, le sentiment aigu que l'Espagne s'est ensevelie en marge de l'histoire.
Mais il commence aussi une carrière. Il écrit des articles de critique littéraire, quelques essais et, dès 1900, son livre L'Âme castillane laisse apparaître l'évolution qui le conduira bien vite des journaux antiréactionnaires Le Pays, Le Progrès, à l'équipe de l'organe monarchiste ABC. Entre-temps, l'image d'Antonio Azorín lui impose à la fois une perception et un style (La Volonté, 1902 ; Antonio Azorín, 1903 ; Les Confessions d'un petit philosophe, 1904). Or, en 1905, Azorín n'avait encore vécu que neuf ans à Madrid et il lui restait cinquante-deux ans à vivre ; l'anarchiste qui un an auparavant proclamait : « Nous sommes iconoclastes » s'était-il donc rangé ? Avait-il déjà abdiqué ? En fait, les icônes qu'il vénérait étaient purement littéraires et il le montra bien en attendant 1931 pour exhumer son républicanisme d'antan. S'il avait pu, néanmoins, obtenir cinq fois, jadis, un mandat de député conservateur, il ne devait jamais être désigné pour jouer le personnage républicain.
Mais n'avait-il pas reçu la consécration véritable lorsqu'en 1924 l'Académie espagnole l'avait accueilli parmi ses membres ? Un plus grand succès sous la République n'aurait pas, de toute manière, empêché Azorín de[...]
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Écrit par
- Eutimio MARTÍN : lecteur à la faculté des lettres et sciences humaines de Nice
- René PELLEN : ancien élève de l'École normale supérieure, docteur d'État, maître assistant à l'université de Poitiers
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