BĀB
Les plus anciennes portes fortifiées (bāb) construites en pays d'islam datent de l'époque omeyyade (viiie s.). Ce sont des entrées directes sous voûtes défendues par des mâchicoulis et flanquées de grosses tours semi-circulaires, comme à Qasr al-Hayr al-Gharbī (729) dans le désert syrien. Les quatre portes, aujourd'hui disparues, ouvertes dans l'enceinte circulaire de Bagdad bâtie par le calife al-Mansur en 762 étaient de remarquables exemples de portes à chicane. Malgré ses avantages, le tracé en chicane ne fut pas généralisé, comme en témoigne la porte de Bagdad à Raqqa, construite elle aussi par al-Mansur. Le système coudé qui gêne toute pénétration massive a une origine fort lointaine, antérieure à l'islam ; nous le trouvons à Kōm al-Ahmar en Égypte, au IIIe millénaire, et à Djanbas Kalaa en Asie Centrale d'où les ‘Abbāsides l'ont importé. Certains ont voulu chercher l'origine de la porte à chicane dans les fortifications byzantines d'Afrique du Nord : en fait, la première porte à chicane connue de l'architecture byzantine date de 859 et se trouve à la citadelle d'Ankara. Trois portes fortifiées de l'enceinte du Caire : Bāb an-Nasr et Bāb al-Futuh (1087) ainsi que Bāb Zuwayla (1092), bien que construites par des architectes arméniens venus d'Edesse en 1086, sont considérées comme des chefs-d'œuvre de l'art militaire musulman. Elles sont flanquées de grandes tours à trois étages, carrées (Bāb an-Nasr) ou arrondies. Protégées par un glacis (zallaga) qui disparut au xiiie siècle, l'ensemble mesure environ 24 mètres de large, 20 mètres de profondeur et 20 mètres de haut. L'entrée est fermée par de lourds vantaux en bois renforcés de lattes de fer, de clous et de fers à cheval.
Dans les régions du monde musulman touchées par les civilisations hellénistique et romaine, les enceintes fortifiées ont pour origine des murs antiques dont les portes primitives sont à entrée axiale sous voûte. Les portes d'Alep et de Damas, au nombre de sept, suivant une tradition remontant à la Haute Antiquité, témoignent de transformations notables et d'aménagements nouveaux, qui répondent aux progrès de l'art militaire et aux nécessités de la défense. La transformation est marquée, non seulement par la présence à chaque porte d'un petit oratoire (maqam) avec le cénotaphe d'un saint local, protecteur de la ville ou de la citadelle, mais aussi par l'apparition d'un avant-corps (bashura) qui remédie par un passage coudé à l'inconvénient de l'entrée directe (voir Bāb Sharqī et Bāb Saghīr, portes romaines de Damas remaniées au xiie siècle). Des transformations plus radicales sont réalisées, au xiiie siècle, aux portes antiques d'Alep, par la construction de deux saillants à angles coupés et d'un vestibule (dargah) où l'on tourne à angle droit, l'entrée étant protégée par des archères de face et de côté (Bāb Antakiya). À Bāb Qinnasrin, transformée en un bastion massif avec des magasins et des moulins, le secteur axial du tracé de l'entrée garde le souvenir de la porte antique. Au temps de Saladin et de ses successeurs, de nouvelles portes furent aménagées à Damas et au Caire. La monumentale entrée de la citadelle d'Alep, construite en 1209 par al-Zahir Ghazi, est l'exemple le plus remarquable de porte à chicane. Remaniées tout au long du Moyen Âge, les portes des enceintes fortifiées, dont beaucoup subsistent de nos jours en Orient, ont fini par constituer de véritables ouvrages de défense.
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Écrit par
- Nikita ELISSÉEFF : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Lyon
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