BACCHUS & BACCHANALES
À Rome, lorsqu'on n'assimile pas Dionysos à Liber, célébré par un culte officiel, on le désigne fréquemment par un autre de ses noms grecs, Bacchus, et l'on nomme bacchanalia les sanctuaires privés où des sociétés de dévots pratiquent son culte. Les bacchanales restent associées au souvenir d'un scandale et d'une répression dont Tite-Live fait un récit détaillé en son livre XXXIX.
En ~ 186, au lieu d'attribuer aux consuls de l'année des théâtres d'opérations extérieurs, le Sénat leur confie le soin de découvrir et de combattre les complots de l'intérieur. Précisément, le consul Postumius ne tarde pas à recueillir le témoignage d'une prostituée, Hispala, et de son souteneur, le jeune Aebutius, de famille équestre. Duronia, la mère d'Aebutius, à la suite d'une maladie de son fils, a fait vœu de l'initier aux mystères de Dionysos s'il guérissait. Hispala, n'acceptant pas les dix jours de chasteté préparatoires à l'initiation imposés à son amant de cœur, déclare qu'il s'agit d'un complot de la mère et du beau-père d'Aebutius pour le tuer ou le déshonorer afin de ne pas lui rendre à sa majorité l'héritage paternel. En effet, comme elle l'expliquera au consul, l'affaire s'étant ébruitée, elle a été elle-même initiée. Elle sait que, depuis que le culte, à l'origine purement féminin, est devenu mixte et nocturne, il n'est que prétexte à débauche et à crimes. crimes. La nuit et le vin déchaînent les sens, on prête un serment impie, les nouveaux initiés sont violés, ceux qui refusent sont découpés en morceaux ou précipités dans des abîmes, la musique bruyante cache leurs cris. Les affiliés, très nombreux, recrutés dans tous les milieux, du sénateur à l'esclave, constituent un syndicat du crime auquel on doit imputer tous les assassinats, empoisonnements, faux testaments ou témoignages, escroqueries commis à Rome ; le pouvoir lui-même est en danger.
Forts de ces révélations, le gouvernement et le Sénat proclament l'état de siège dans la ville et pratiquement dans toute l'Italie ; la terreur provoque un véritable exode hors de la ville, une procédure expéditive condamne à mort de supposés coupables par milliers ; dans le Sud, une insurrection armée des bacchants tiendra plusieurs années. Une décision du Sénat (connue par une inscription) interdit sous peine de mort le culte privé de Bacchus sauf, dans d'étroites limites, avec autorisation du Sénat romain. La version officielle présente tous les caractères d'une grossière affabulation policière revenant à prendre à la lettre tout ce qui est symbolique : communion omophagique où la victime (animale) est entièrement dévorée crue ; descente dans des caves symbolisant l'Enfer d'où l'on remonte autre et immortel. Les rites sans doute chastes (on ne comprendrait pas l'obligation de pureté préalable) tendaient à assurer le salut personnel et l'immortalité de l'âme.
Il y avait longtemps que cette forme de dionysisme était répandue à Rome. Naevius s'en fit le propagandiste dans sa tragédieLucurgus et dut peut-être à cela son incarcération de ~ 206 ; Plaute a fait maintes allusions aux bacchanales, dont il peut avoir été l'adepte. Le culte des bacchants, venu de Grèce, heurtait les tenants de la tradition nationale ; par sa préoccupation du salut individuel, il s'opposait à la primauté des valeurs collectives de la cité ; il n'était pas politiquement tolérable, car, privé, il soustrayait au contrôle de l'État une part importante de la religion, tenue pour le moyen de gouvernement privilégié. Des considérations électorales du groupe de Caton, amateur de scandales à dénoncer, et les craintes d'une incompatibilité entre l'état de dévot et le service militaire (serments contradictoires) ont sans[...]
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Écrit par
- Jean-Claude DUMONT : maître assistant à l'université de Paris-X
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