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SAYYĀB BADR SHĀKIR AS- (1926-1964)

Né dans le village de Jaykur, près de Baṣra, en Iraq, Badr Shākir as-Sayyāb fait ses études secondaires à Baṣra et ses études supérieures à l'E.N.S. de Bagdad, dont il sort en 1948. Occupation de l'Iraq par les Anglais, mouvements populaires et « révolutions », troubles en Palestine : les événements politiques que connaît le monde arabe se répercutent sur sa vie et sur son œuvre. Cela explique l'engagement du poète : ses opinions nationalistes et anticoloniales, son patriotisme militant, sa période communiste de 1945 à 1954, son engagement aux côtés des nationalistes enfin, en particulier du parti Baas, dans le débat qui les oppose aux communistes.

Badr Shākir as-Sayyāb connaîtra la pauvreté, la clandestinité et l'exil. L'errance et la maladie qui marquèrent sa destinée seront une dimension essentielle de son œuvre. Mais pour le public et la critique arabes, il reste celui qui imposa le « vers libre ». En fait, il n'est ni le premier ni le seul à innover et, sur le plan prosodique, ses innovations restent limitées. Cependant le génie de son œuvre fait de lui le chef de file de ce mouvement de renouvellement poétique. Après des poèmes de jeunesse, écrits entre seize et vingt-trois ans, et regroupés après sa mort dans le recueil Iqbāl (1965), Sayyāb étonne le public avec Azhār ḏẖabila (Fleurs fanées) où l'on découvre un poème : « Hal kāna hubban ? » (« Était-ce de l'amour ? »), composé en novembre 1946, qui se caractérise par la suppression des deux hémistiches, la liberté dans le choix des rimes et dans l'utilisation des pieds (tafā'īl), dont le nombre varie d'un vers à l'autre — quoique le poète s'en tienne à l'un des mètres classiques, alors que plus tard il combinera plusieurs mètres dans le même texte. En outre, les quatre strophes de ce poème ne reproduisent pas une structure rythmique identique d'une strophe à l'autre. Cette utilisation et cette distribution plus souples du mètre classique caractérisent l'œuvre de Sayyāb.

Curieux et ouvert à d'autres cultures, Sayyāb est un lecteur assidu des poètes anglais, de T. S. Eliot notamment. S'il participe successivement à trois revues, Adab, Shi'r, Ḥiwār, et fréquente les milieux culturels de Beyrouth, il reste avant tout un homme du terroir, attaché à la tradition littéraire et aux modèles anciens, tels Abū Tammām et Al Muta Nabbi. En fait, tout autant que ses innovations en matière de versification, c'est la vision poétique de Sayyāb qui tranche, en un sens, avec la tradition. Le Chant de la pluie, publié en 1960, donne vie avec une rare force d'évocation aux légendes de l'Iraq et, par-delà le Proche-Orient, aux mythes universels. Parmi ces mythes, celui de la résurrection (représenté par la figure du Christ) se retrouve constamment dans la poésie de Sayyāb : les poèmes « La Complainte de Jaykur » et « Le Christ après sa crucifixion » en sont deux exemples parmi tant d'autres. Il y a dans la poésie de Sayyāb une soif d'absolu qui alterne avec un sentiment d'échec, un espoir et une joie qui coexistent avec souffrance et désespoir. L'unité du poème réside dans cette tension.

Quant aux poèmes de la dernière période, ils révèlent, en même temps qu'une nostalgie profonde pour la terre natale, une grande soif de vie et d'amour, cependant qu'au terme de sa maladie le poète appelle la mort comme délivrance. C'est l'angoisse qui caractérise cette poésie essentialiste, où Sayyāb poursuit la quête entamée dès ses premières œuvres : cerner le mystère de la vie et de la mort. Sayyāb meurt en 1964, après la publication de L'Oratoire noyé (1962), La Maison des esclaves (1963). Son dernier recueil, Les Balcons de la fille d'El Jalbi, paraîtra après sa mort.

— Gilles[...]

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Écrit par

  • : professeur, agrégé, ancien élève de l'École normale supérieure, docteur ès lettres en littérature arabe

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